Le texte qui suit est extrait du numéro 300 du journal BRIVE-INFORMATIONS, édité le 15 août 1945 à l'occasion du premier anniversaire de la Libération de Brive. L'article est signé du journaliste Armand Coudert. Rédigé un an seulement après la Libération de Brive, il est loin d'être aussi détaillé que le récit fait par François David dans "Résister, Passion d'espérance", après des années de recherches.
COMMENT SE DÉROULÈRENT LA REDDITION DE LA GARNISON ALLEMANDE DE BRIVE
ET LA LIBÉRATION DE LA VILLE
ET LA LIBÉRATION DE LA VILLE
par Armand COUDERT
VERS UNE REDDITION
LE RÔLE DE ROBERT WOLF
LA JOURNÉE DU 15 AOUT
Dès 6 heures du matin, le sous-Préfet, Gao, et le regretté lieutenant Sigrist tué à l'ennemi alors qu'il se battait en Forêt Noire se rendaient à Lanteuil au P.C. du colonel Hervé, où avait lieu un échange de vue qui se prolongeait jusqu'à 8 h 45.
- Avez-vous l'intention, poursuit le commandant de Metz, de capituler sans condition ?
Le colonel allemand répond alors en présentant une contre-proposition dont il avait déjà entretenu le sous-Préfet, lors d'une conversation précédente, à savoir :
1°) Retrait des postes de barrages et neutralisation à l'intérieur du collège Cabanis;
2°) Reddition à discuter.
Extrêmement ferme, le commandant de Metz répond qu'il n'est venu que pour entendre de la bouche du colonel qu'il est décidé à capituler sans qu'il soit possible de discuter le principe même de cette capitulation.
Au cours d'un rapide entretien le colonel allemand est amené à déclarer qu'il ne capitulera sans condition que s'il est assuré de garder intact son honneur de soldat. Par ailleurs il ne veut consentir de rendre les armes qu'entre les mains d'officiers de l'armée de de Gaulle.
A ces conditions il acceptera de rencontrer le colonel Hervé.
Le commandant de Metz l'assure que les conditions de son chef seront certainement acceptables et honorables, et, poursuivant, il lui demande si dans ce cas il accepte de rencontrer à 11 heures le colonel Hervé.
C'est par un "Ja" sans commentaire que se termine cet entretien dont il n'est point nécessaire de dire combien il fut émouvant.
VERS UNE RUPTURE
Traduire l'émotion de ceux qui venaient d'être les témoins de cette scène ainsi que des quelques personnes qui attendaient tout à coté les résultats de cette prise de contact est chose très difficile.
L'âme gonflée d'une joie qui ne savait comment s'extérioriser, l'esprit semblait se refuser à croire à la réalisation sérieuse, définitive, de cette immense espérance : la libération de notre ville.
Et pourtant, cette reddition que nous appelions tous de nos plus chers désirs allait devenir une chose tangible, puisqu'un commencement de réalisation a déjà été fait. Dans quelques minutes, à 11 heures exactement un rendez-vous a été fixé au château de la Grande-Borie.
Il est déjà question de la décoration de la ville, et le champagne de la victoire - car il s'agit bel et bien d'une victoire - coule dans les coupes que nous tenons tous avec des mains que l'émotion et la nervosité du moment rendent tremblantes.
Des voix plus sages prêchent la sagesse, mais emportés par l'enthousiasme et un espoir lourd d'optimisme, nous voyons pour la plupart le chose réalisée.
Aussi lorsqu'à 10 h 45 la porte s'ouvre sur le visage glabre, contracté et glacial de l'agent de la (???).
Après avoir dit quelques mots à l'oreille de M. Wolf, il gagne le bureau du sous-Préfet et informe les plénipotentiaires que les pourparlers sont rompus, le colonel a donné aux troupes les ordres de combat.
La situation est désespérée. La fièvre est brusquement tombée devant le tragique de la situation.
Sur les instances de Gao, le sous-Préfet accepte de se rendre au collège Cabanis accompagné du lieutenant Coriolan. Le commandant de Metz promet de l'attendre jusqu'à 12 h 30.
Au collège, M. Chaussade trouve le colonel casqué prenant toutes les dispositions de combat. Avec ce sens profond de la diplomatie qu'il possède à merveille, le sous-Préfet s'efforce de ramener l'allemand à plus de compréhension. Il obtient ainsi un nouveau rendez-vous pour 12 h 30.
Accompagné du commandant Pierre, le Sous-Préfet part aussitôt pour la Grande-Borie. A son retour à midi 45, il nous apprend que l'état-major F.F.I. a refusé le rendez-vous et n'accepte plus que de recevoir au P.C. de Lanteuil un plénipotentiaire allemand arborant le drapeau blanc. Toujours sur les instances de Gao, M. Chaussade revient au collège pour tenter une ultime démarche.
Durant cet entretien le sous-Préfet avec beaucoup de doigté, parvient à rétablir la situation compromise. Faisant légèrement dévier le but de sa mission qu'il croit trop vexatoire, il propose l'envoi d'un plénipotentiaire en prétextant qu'il est inutile de déranger une fois de plus un officier supérieur, puisqu'il ne s'agit que d'un travail préliminaire. Cette thèse est adoptée par le colonel Böhmer. Aussitôt après un rapide déjeuner, le sous-Préfet se rend au collège prendre le plénipotentiaire, puis le cortège composé de 3 voitures, la première étant celle du sous-Préfet, la seconde la voiture de l'officier allemand, Gao et Sigrist se trouvant dans un troisième véhicule, prend la direction de Lanteuil où il arrive à 15 h 30.
Les pourparlers s'engagent aussitôt entre le commandant de Metz, le commandant Pierre, le capitaine Jean-Pierre de l'E.M. interallié, du commandant Jack, et le plénipotentiaire. Ils se prolongeront jusqu'à 17 h 30 et le dernier rendez-vous est fixé à 20 heures.
BATAILLE AUX AVANT-POSTES
En ville, une certaine nervosité a gagné la population qui se demande où en sont les négociations. Un sentiment identique s'est répandu parmi les soldats de la Résistance, et vers 17 heures, sans que l'on sache exactement comment, des rafales de mitrailleuses sont tirées au pont Cardinal et au pont de la Bouvie. Risquant de voir ces incidents compromettre les pourparlers, Gao, accompagné de Marel et Combe, partent aussitôt se rendre compte de ce qui se passe.
Couvert du drapeau blanc et du fanion tricolore, il gagne avec le lieutenant Sigrist, le poste du pont Cardinal où il fait expliquer aux allemands le déroulement des événements. Ayant obtenu satisfaction, il se rend route de Varetz et apprend de la bouche du chef de poste que le feu a été ouvert par les F.F.I.
Profitant d'une accalmie, il essaie de faire comprendre au sous-officier F.F.I. à l'aide de signaux, qu'il importe de ne pas reprendre cette fusillade. Étant retourné au pont Cardinal, puis à la Pigeonnie, il parvient là aussi à joindre l'officier F.F.I. et le met au courant de la situation. Mais pendant ce temps le feu a recommencé au pont de la Bouvie et Gao doit à nouveau se rendre sur les lieux pour intervenir. Il y a déjà 3 tués et 2 blessés. Sur ses conseils, le chef de poste accepte de se replier au collège avec ses hommes.
LA REDDITION
Pendant qu'à Brive se déroulaient ces divers incidents, la sous-préfecture s'était à nouveau transformée en un centre particulièrement nerveux et d'une grande sensibilité.
A l'heure fixée, le sous-Préfet avait conduit le colonel Böhmer à l’État-major F.F.I. pour les dernières formalités. Enfin, à la nuit, M. Chaussade rentrait à son hôtel porteur de la bonne nouvelle.
Quelques heures après, nos jeunes du maquis réalisaient ce rêve tant attendu. Avec une juste fierté ils pénétraient dans la cité gaillarde dont la population, délirante de joie et d'allégresse, allait leur réserver un accueil triomphal.
Grâce à ces petits maquisards, grâce à leurs chefs, grâce à des dévouements admirables soutenus par un patriotisme splendide, grâce à ses déportés, à ses martyrs, à ses héros de la Résistance, Brive-la-Gaillarde, première ville de France libérée, avait capturé la totalité de ses occupants, par son propre effort, avait inscrit à son histoire l'une de ses plus belles pages.
A. C.