3 - les dernières heures de l'occupation, la reddition allemande et la Libération de Brive (15 août 1944)


Le texte qui suit est extrait du numéro 300 du journal BRIVE-INFORMATIONS, édité le 15 août 1945 à l'occasion du premier anniversaire de la Libération de Brive. L'article est signé du journaliste Armand Coudert. Rédigé un an seulement après la Libération de Brive, il est loin d'être aussi détaillé que le récit fait par François David dans "Résister, Passion d'espérance", après des années de recherches.

COMMENT SE DÉROULÈRENT LA REDDITION DE LA GARNISON ALLEMANDE DE BRIVE
ET LA LIBÉRATION DE LA VILLE


par Armand COUDERT

15 Août 1944. Brive vivait ce jour là une des journées les plus émouvantes de son histoire.
Le ciel était magnifiquement pur et l'atmosphère semblait plus légère. Une ambiance toute particulière avait gagné les artères de la ville.
Depuis quelques jours déjà, les forces de la Résistance ayant resserré leur étreinte, faisaient peser avec plus de poids leur lancinante présence aux portes de la cité. Il ne se passait point de nuit sans que n'éclatent de courtes et violentes rafales échangées entre les boches et nos jeunes du maquis, soit aux (???) au Rocher coupé, soit aux autres issues rageusement gardées par un occupant qu'envahissait rapidement l'angoisse de la défaite.


En ce 15 août tout doré de soleil, la population avait perçu, grâce à cette sorte d'antenne subconsciente que possède la foule que quelque chose de très grand se préparait dans ses murs.
Et rapidement la sous-préfecture allait devenir le centre d'attraction vers lequel convergèrent les curieux.
Jalousement close, celle-ci n'avait laissé pénétrer dans son enceinte que quelques privilégiés qui allaient vivre des heures combien émouvantes.
La veille déjà quelques promeneurs avaient vu passer une traction noire portant déployé à l'avant un petit fanion tricolore. Et rapidement le bruit avait couru "Les maquis sont dans Brive, ils sont entrés à la Sous-préfecture". Quelques instants plus tard, le bruit circulait qu'un des occupants de la voiture était un briviste bien connu : René Jugie, qui un mois auparavant avait échappé d'extrême justesse aux agents de la Gestapo, venus pour l'arrêter, plus heureux en cela que ses infortunés compagnons Pierre Chaumeil, Guy Bonjour, Germain Quintel, Victor Lacassin, Gustave Parrain, Pierre François, qui furent fusillés après avoir été odieusement torturés.
Le 15 août, la même voiture allait circuler à plusieurs reprises dans la ville, tandis que les curieux apercevaient le colonel Böhmer, commandant la garnison allemande, pénétrer à son tour à la Sous-Préfecture. Que s'était-il passé au juste ?

VERS UNE REDDITION

Il nous faut revenir un jour en arrière pour établir chronologiquement le récit de ces journées qui allaient faire de la cité gaillarde la première ville de France libérée par ses propres moyens.
Pour obtenir un tel résultat, il importait de saper le moral de la garnison allemande. C'est dans ce but que deux actions parallèles avaient été déclenchées. D'abord une action militaire qui s'était traduite par un harcèlement permanent des postes de garde. Ensuite de nombreux coups de main tentés d'ailleurs avec succès par les hommes de la sécurité et du corps-franc, à l'intérieur même de la ville. C'est ainsi que 49 agents de l'ennemi furent arrêtés par la sécurité A.S.M.U.R. du 14 juillet au 15 août.
Par ailleurs, l'état-major allemand avait été informé qu'il avait en face de lui, non des bandes désorganisées sans foi ni loi, mais bien des soldats encadrés, militarisés, respectueux des règlements de la guerre.
Donc, dès le 7 août, celui qui devait être la cheville ouvrière de la reddition de Brive, René Jugie, alias Gao, était avisé par un de ses agents que les allemands seraient disposés à entamer des pourparlers.
Le 10 août, Gao se rendait au PC du colonel Vaujour (Hervé), en compagnie de Maître Baillely (Bonnet), directeur départemental des M.U.R. et en présence du colonel Jacquot (Edouard), commandant des F.F.I., du colonel Hervé, du commandant Romain, de Pimont (Ponty), Préfet de la Corrèze nommé par Alger, et de Bourdarias (Maës), secrétaire départemental des M.U.R. Il exposait quel était l'état d'esprit des allemands.
Il proposait d'entreprendre rapidement des pourparlers en vue de négociations précises.
Après de longues discussions, le principe d'une telle demande est accepté. Le colonel Jacquot mandate Gao et rendez-vous est pris pour le samedi 12 août à Puybrun.
Le 11 août, Gao rencontre à Martel un de ses agents, Combes, directeur de Monoprix, et le délègue auprès de Robert Wolf, directeur de l’Étoile, et de Chabreyroux pour obtenir un rendez-vous avec les allemands. Le lendemain 12 août, Gao apprenait de la bouche de Combes que le contact n'avait pu se réaliser et qu'il semblait que le Sous-Préfet était le plus qualifié pour mettre sur pied cette rencontre.
Combes se voit alors confier la mission d'atteindre le sous-Préfet. Le 14 août, Gao qui n'avait pu joindre jusqu'alors le colonel Jacquot, apprenait par un agent de liaison que celui-ci lui donnait rendez-vous pour le même jour à Puybrun, à 18 heures.
De son coté, le sous-Préfet, Mr Chaussade, avait mené les affaires avec rondeur. Ayant donné rendez-vous à Gao à 14 heures au Rocher Coupé, il l'informait qu'en réalité il lui avait ménagé un rendez-vous pour le jour même à 17 H 30 à la sous-Préfecture.
Mais c'est sans avoir pu rencontrer un seul chef militaire que Gao doit se rendre le soir à la sous-Préfecture où il est décidé de repousser le rendez-vous une fois de plus. Celui-ci est fixé au 15 août à 9 heures.

LE RÔLE DE ROBERT WOLF

Parallèlement à cette action, il est un autre briviste Robert Wolf, directeur de l'hôtel de l’Étoile, qui avait de son coté, avec patience et ténacité, entrepris des manœuvres pour arriver à des négociations
D'origine lorraine, Wolf était admirablement placé pour sonder le moral des allemands et influer sur leurs opinions. Il avait, pendant des jours et des jours, brossé aux officiers boches un tableau forcé de la situation, les amenant petit à petit, à penser à la possibilité de négociations, voire d'une reddition.
En accord avec le sous-Préfet, il avait même poussé fort avant les prises de contact. Après s'être rendu au P.C. d'un officier de l'A.S., il avait fait se rencontrer, au P.C. même de cet officier, un agent de la Gestapo, le nommé Schmit, et des représentants des F.F.I.
Le lieutenant Coriolan avait été mandaté et habilité pour poursuivre les négociations.
Le 14 au soir, une rencontre avait lieu à la sous-Préfecture entre Gao et le lieutenant Coriolan. Après un échange de vue et une mise au point il était décidé de synchroniser les pourparlers pour la journée du lendemain.

LA JOURNÉE DU  15 AOUT

Dès 6 heures du matin, le sous-Préfet, Gao, et le regretté lieutenant Sigrist tué à l'ennemi alors qu'il se battait en Forêt Noire se rendaient à Lanteuil au P.C. du colonel Hervé, où avait lieu un échange de vue qui se prolongeait jusqu'à 8 h 45.
Puis le convoi regagnait Brive. Les plénipotentiaires comprenaient alors le commandant de Metz (Noblat), le commandant Bernard (Pierrot), le lieutenant Coriolan, comme interprète le lieutenant Sigrist, du coté militaires, et, du coté civil, M. Chaussade et Gao.
A 9 heures précises le colonel allemand pénétrait à la Sous-Préfecture. Il est immédiatement présenté aux membres de la mission par M. Chaussade.
Le commandant de Metz présente alors la lettre qui l'habilite seul à traiter avec les autorités allemandes.
- "Êtes-vous, demande-t-il au colonel Böhmer, le chef des troupes allemandes cantonnées à Brive ?
- Non seulement, répond celui-ci, je commande la place de Brive, mais toute la Corrèze. Je suis le chef du 95° régiment de sécurité cantonné à Tulle, Brive et Ussel. Seule la garnison d'Egletons est placée sous un autre commandement.
- Avez-vous l'intention, poursuit le commandant de Metz, de capituler sans condition ?
Le colonel allemand répond alors en présentant une contre-proposition dont il avait déjà entretenu le sous-Préfet, lors d'une conversation précédente, à savoir :
1°) Retrait des postes de barrages et neutralisation à l'intérieur du collège Cabanis;
2°) Reddition à discuter.
Extrêmement ferme, le commandant de Metz répond qu'il n'est venu que pour entendre de la bouche du colonel qu'il est décidé à capituler sans qu'il soit possible de discuter le principe même de cette capitulation.
Au cours d'un rapide entretien le colonel allemand est amené à déclarer qu'il ne capitulera sans condition que s'il est assuré de garder intact son honneur de soldat. Par ailleurs il ne veut consentir de rendre les armes qu'entre les mains d'officiers de l'armée de de Gaulle.
A ces conditions il acceptera de rencontrer le colonel Hervé.
Le commandant de Metz l'assure que les conditions de son chef seront certainement acceptables et honorables, et, poursuivant, il lui demande si dans ce cas il accepte de rencontrer à 11 heures le colonel Hervé.
C'est par un "Ja" sans commentaire que se termine cet entretien dont il n'est point nécessaire de dire combien il fut émouvant.

VERS UNE RUPTURE

Traduire l'émotion de ceux qui venaient d'être les témoins de cette scène ainsi que des quelques personnes qui attendaient tout à coté les résultats de cette prise de contact est chose très difficile.
L'âme gonflée d'une joie qui ne savait comment s'extérioriser, l'esprit semblait se refuser à croire à la réalisation sérieuse, définitive, de cette immense espérance : la libération de notre ville.
Et pourtant, cette reddition que nous appelions tous de nos plus chers désirs allait devenir une chose tangible, puisqu'un commencement de réalisation a déjà été fait. Dans quelques minutes, à 11 heures exactement un rendez-vous a été fixé au château de la Grande-Borie.
Il est déjà question de la décoration de la ville, et le champagne de la victoire - car il s'agit bel et bien d'une victoire - coule dans les coupes que nous tenons tous avec des mains que l'émotion et la nervosité du moment rendent tremblantes.
Des voix plus sages prêchent la sagesse, mais emportés par l'enthousiasme et un espoir lourd d'optimisme, nous voyons pour la plupart le chose réalisée.
Aussi lorsqu'à 10 h 45 la porte s'ouvre sur le visage glabre, contracté et glacial de l'agent de la (???).
Après avoir dit quelques mots à l'oreille de M. Wolf, il gagne le bureau du sous-Préfet et informe les plénipotentiaires que les pourparlers sont rompus, le colonel a donné aux troupes les ordres de combat.
La situation est désespérée. La fièvre est brusquement tombée devant le tragique de la situation.
Sur les instances de Gao, le sous-Préfet accepte de se rendre au collège Cabanis accompagné du lieutenant Coriolan. Le commandant de Metz promet de l'attendre jusqu'à 12 h 30.
Au collège, M. Chaussade trouve le colonel casqué prenant toutes les dispositions de combat. Avec ce sens profond de la diplomatie qu'il possède à merveille, le sous-Préfet s'efforce de ramener l'allemand à plus de compréhension. Il obtient ainsi un nouveau rendez-vous pour 12 h 30.
Accompagné du commandant Pierre, le Sous-Préfet part aussitôt pour la Grande-Borie. A son retour à midi 45, il nous apprend que l'état-major F.F.I. a refusé le rendez-vous et n'accepte plus que de recevoir au P.C. de Lanteuil un plénipotentiaire allemand arborant le drapeau blanc. Toujours sur les instances de Gao, M. Chaussade revient au collège pour tenter une ultime démarche.
Durant cet entretien le sous-Préfet avec beaucoup de doigté, parvient à rétablir la situation compromise. Faisant légèrement dévier le but de sa mission qu'il croit trop vexatoire, il propose l'envoi d'un plénipotentiaire en prétextant qu'il est inutile de déranger une fois de plus un officier supérieur, puisqu'il ne s'agit que d'un travail préliminaire. Cette thèse est adoptée par le colonel Böhmer. Aussitôt après un rapide déjeuner, le sous-Préfet se rend au collège prendre le plénipotentiaire, puis le cortège composé de 3 voitures, la première étant celle du sous-Préfet, la seconde la voiture de l'officier allemand, Gao et Sigrist se trouvant dans un troisième véhicule, prend la direction de Lanteuil où il arrive à 15 h 30.
Les pourparlers s'engagent aussitôt entre le commandant de Metz, le commandant Pierre, le capitaine Jean-Pierre de l'E.M. interallié, du commandant Jack, et le plénipotentiaire. Ils se prolongeront jusqu'à 17 h 30 et le dernier rendez-vous est fixé à 20 heures.

BATAILLE AUX AVANT-POSTES

En ville, une certaine nervosité a gagné la population qui se demande où en sont les négociations. Un sentiment identique s'est répandu parmi les soldats de la Résistance, et vers 17 heures, sans que l'on sache exactement comment, des rafales de mitrailleuses sont tirées au pont Cardinal et au pont de la Bouvie. Risquant de voir ces incidents compromettre les pourparlers, Gao, accompagné de Marel et Combe, partent aussitôt se rendre compte de ce qui se passe.
Couvert du drapeau blanc et du fanion tricolore, il gagne avec le lieutenant Sigrist, le poste du pont Cardinal où il fait expliquer aux allemands le déroulement des événements. Ayant obtenu satisfaction, il se rend route de Varetz et apprend de la bouche du chef de poste que le feu a été ouvert par les F.F.I.
Profitant d'une accalmie, il essaie de faire comprendre au sous-officier F.F.I. à l'aide de signaux, qu'il importe de ne pas reprendre cette fusillade. Étant retourné au pont Cardinal, puis à la Pigeonnie, il parvient là aussi à joindre l'officier F.F.I. et le met au courant de la situation. Mais pendant ce temps le feu a recommencé au pont de la Bouvie et Gao doit à nouveau se rendre sur les lieux pour intervenir. Il y a déjà 3 tués et 2 blessés. Sur ses conseils, le chef de poste accepte de se replier au collège avec ses hommes.

LA REDDITION

Pendant qu'à Brive se déroulaient ces divers incidents, la sous-préfecture s'était à nouveau transformée en un centre particulièrement nerveux et d'une grande sensibilité.
A l'heure fixée, le sous-Préfet avait conduit le colonel Böhmer à l’État-major F.F.I. pour les dernières formalités. Enfin, à la nuit, M. Chaussade rentrait à son hôtel porteur de la bonne nouvelle.
Quelques heures après, nos jeunes du maquis réalisaient ce rêve tant attendu. Avec une juste fierté ils pénétraient dans la cité gaillarde dont la population, délirante de joie et d'allégresse, allait leur réserver un accueil triomphal.
Grâce à ces petits maquisards, grâce à leurs chefs, grâce à des dévouements admirables soutenus par un patriotisme splendide, grâce à ses déportés, à ses martyrs, à ses héros de la Résistance, Brive-la-Gaillarde, première ville de France libérée, avait capturé la totalité de ses occupants, par son propre effort, avait inscrit à son histoire l'une de ses plus belles pages.

A. C.

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