- Poincaré à Brive

 
Journée du vendredi 12 septembre 1913 (suite)

La journée sera consacrée à Brive, avec une grande réception à l'Hôtel de ville, le déjeuner officiel, la visite de l'hôpital, et ce qu'on appellerait aujourd'hui, des bains de foule.

Parallèlement se dérouleront un déjeuner de la presse, une grande fête au théâtre de verdure, et une grandiose soirée festive.


L'arrivée à Brive

L'arc de Triomphe qui est en tête du pont Cardinal, est un monument superbe qui porte en exergue en lignes flamboyantes : « Hommage à M. Poincaré ! », entre les armoiries agrandies de la Lorraine et de la capitale du Bas-Limousin. Au milieu du pont, la brise fait balancer une large banderole sur laquelle on lit :

« Lou pourtal luzen de Medzour

Vous ey druber tout grand. » (Jasmin)

Les trompettes du « Réveil », placées sur l'arc de triomphe, font entendre leurs plus vibrantes sonneries. De ce point à la mairie, ce n'est qu'un dôme, entre les platanes et les maisons riveraines, de banderoles, de drapeaux, de festons, de feuillages. Les habitants ont rivalisé pour que leurs décorations soient du meilleur goût possible. Mais, c'est aussi comme une traînée de poudre qui s'enflamme avec les acclamations qui partent de tous les cotés, tandis que les cloches sonnent, les tambours, les musiques éclatent. Toutes les sociétés de la ville sont sur pied : la Gaillarde, la société de gymnastique est postée en tableau vivant sur un second arc de triomphe du plus martial effet, à l'entrée de la rue Toulzac. L'exergue fière porte encore le vers de Jasmin :

« Luzen pourtal del Medjour », dans les fleurs de blé noir et de bruyère.

Ci-dessus, à gauche l'arc de triomphe du Pont Cardinal (Col. JPC) et à droite celui de la rue Toulzac (Doc. delcampe.net)

Les tambours et clairons des Touristes jouent Aux Champs. Sur la place de la mairie, sont groupés les membres de la société des Vétérans, de la Phalange glorieuse, les jeunes éclaireurs de France, la Sainte Cécile, la Lyre Briviste, etc. Les cris unanimes de « Vive Poincaré ! Vive Mme Poincaré ! » roulent comme une vague déferlée jusqu'à la mairie, où les voitures défilant, le Président met pied à terre. La Marseillaise est jouée par la Sainte Cécile ; les jeunes éclaireurs présentent leur piques. Les Vétérans et les Phalangiens lèvent leurs chapeaux. Les drapeaux s'inclinent...



L'arrivée à la Mairie.
La photo de droite est celle
de la Une de l'hebdomadaire L'Illustration n° 3682,
du 20 septembre 1913
(Col. JPC) :
le Président est encore assis dans sa voiture; Mme Poincaré s'apprête à descendre
(Cliché H. Manuel)


A gauche : Col. M. C.




La Réception à la Mairie

M. et Mme Poincaré passent par un véritable jardin rutilant de fleurs et de lumières. Ils se rendent avec leur suite dans la salle des séances, où sont groupés le conseil municipal, la Société de géographie et la presse. M. Poincaré a un sourire et une attention pour tout le monde. M. Bos, maire de Brive et président de la section corrézienne de la Société de géographie commerciale, présente tout d'abord les membres de cette section. Il dit :

« Monsieur le Président, j'ai l'honneur de vous présenter la section corrézienne de la Société de géographie

commerciale de Paris, section fondée à Brive par notre secrétaire général actuel, M. Ruffin, en 1900, et qui compte actuellement 232 adhérents. Si notre Société a contribué par de nombreuses conférences à la vulgarisation de la géographie, elle a eu aussi à cœur d'apporter un soin particulier à faire connaître sa petite patrie, estimant par là que c'était un excellent moyen de servir la grande. Dès 1904, elle crée dans son sein une section spéciale du tourisme et édite le premier guide touristique de la région. Grâce à ce guide, répandu par milliers d'exemplaires à travers la France et le monde entier, de nombreux touristes initiés à la connaissance de nos sites, de nos monuments et de nos gloires du passé, viennent visiter la Corrèze pittoresque. Notre Société a le grand honneur, en ce jour mémorable, de voir couronner ses longs et patients efforts, en recevant comme touriste, le Chef de l'Etat, c'est la plus belle récompense qu'elle pût ambitionner. Ce sera son meilleur encouragement pour l'avenir. Pénétré des sentiments de la plus profonde gratitude, je vous adresse, M. le Président, au nom de la section corrézienne et du Syndicat d'initiative du Bas-Limousin, la plus respectueuse et la plus cordiale des bienvenues ».

M. Poincaré répond :

« Tout ce que vous faites pour faire aimer votre petite patrie, est digne d'éloges. Vous avez raison de contribuer à son développement. Je vous en félicite. Vous voulez la faire admirer. Ce sera facile, car elle se recommande d'elle-même. Je viens de la parcourir ; je l'ai trouvée si belle que mon désir le plus cher serait de la parcourir à nouveau ». Un tonnerre d'applaudissements accueille ces paroles.

M. le maire présente alors en ces termes son conseil municipal :

« M. le Président, au lendemain de votre élection à la magistrature suprême, le conseil municipal de Brive, partageant la joie et la satisfaction qu'avait causé au pays le vote du Parlement, vous adressait ses plus sincères et respectueuses félicitations, en exprimant le vœu qu'à l'occasion des grandes manœuvres du Sud-Ouest vous vouliez bien traverser le Limousin et comprendre Brive dans votre itinéraire. Vous avez répondu à cette invitation avec une bonne grâce et une noble simplicité qui nous touchent profondément. La ville de Brive, assise dans un joli vallon, bordée de collines fertiles et ensoleillées, desservie par six voies ferrées rayonnant dans tous les sens, a vu sa population augmenter considérablement dans l'espace de quelques années. Elle a brisé la ceinture de ses boulevards fleuris, sa limite au quatorzième siècle ; ses constructions débordent aujourd'hui sur toutes les avenues. Par sa situation particulière et privilégiée, elle aspire à devenir un centre de tourisme important. Le poète Jasmin l'avait appelée, autrefois, « la riante porte du Midi ». Elle est aussi aujourd'hui la porte non moins riante du Massif Central, que vous venez de parcourir, station intermédiaire entre les Alpes et les Pyrénées. Avec ses routes bordés de prairies, de châtaigniers, ses collines aux points de vue superbes, ses vallées où les eaux des rivières se précipitant en cascade sous les feuilles satinées des aulnes et des frênes, avec ses châteaux, ses vieilles églises, ses tours féodales, notre Bas-Limousin a son charme particulier : hôtels propres et confortables, hospitalité large et accueillante, tout ce qu'il faut pour séduire le touriste et pour faire apprécier aux étrangers qui les ignorent ces merveilles et agréments de la nature comme les beautés architecturales des siècles disparus. Il faut, des voix plus autorisées que la mienne l'ont déjà dit, l'initiative des municipalités d'abord et des gouvernements ensuite. C'est pour nous manifester, Monsieur le Président, la sollicitude du gouvernement, que vous avez répondu à notre invitation avec une spontanéité qui témoigne d'un grand cœur de Français, de Chef de l'Etat, qui ne se dérobe à aucun de ses devoirs. Nous vous exprimons toute notre reconnaissance. Vous pouvez être assuré que, de son coté, le conseil municipal ne négligera rien pour donner à sa ville tous les agréments d'hygiène, confort et bien-être qui peuvent attirer les visiteurs. Au nom du conseil municipal, profondément attaché à nos institutions républicaines et soucieux de développer la prospérité de la ville qu'il représente, je vous adresse, M. le Président, nos meilleurs souhaits de cordiale bienvenue ».

« Ne me remerciez pas, dit M. Poincaré, souriant. Dans l'empressement que j'ai mis à répondre à votre invitation, il y a un peu d'égoïsme. Rien ne pouvait m'être plus agréable que de venir me reposer dans votre hospitalière et gracieuse cité. Après Jasmin, vous l'appelez « la porte du Midi », nous venons de la passer sous des fleurs. Elle est aussi la porte du Massif Central, que nous venons de parcourir dans ses parties sévères. Nous voici aujourd'hui dans votre coquète ville. C'est ici que je vais prendre quelques heures de repos très agréable, au milieu de vous. Je me félicité de l'accueil que vous me faites et des sentiments républicains et patriotiques que vous manifestez. Je les rencontre du reste partout sur mon passage, et partout, ils se traduisent avec un empressement qui traduit leur sincérité ».


                                                     Le Président salue la foule au balcon de la mairie (Doc. Delcampe.net)

L'assemblée applaudit chaleureusement ces paroles. Après quoi, M. Poincaré serre la main des personnes qui lui sont présentées. M. le maire offre enfin à la signature du Président, de Mme Poincaré et de sa suite, un livre d'or, qui porte en en-tête la poésie et le procès-verbal suivants :




      A MONSIEUR POINCARÉ,

      Président de la République Française

    Jamais dans la cité gaillarde

    Aux froids discours on ne s'attarde ;

    La bonhomie et la rondeur

    Y fleurissent la lèvre, y dilatent le cœur,

    Et parler, agir, se battre,

    Tout s'y fait à la Henri quatre.

    Ainsi dès le premier instant,

    Vous y serez chez vous, Monsieur le Président.

    Avec vous notre République

    Est plus française et plus attique;

    Or, les grands hommes, voyez vous,

    Sont toujours un peu de chez nous.

    Nos érudits, dans maints grimoires,

    Ont trouvé de ce fait la preuve péremptoire.

    L'un a vécu, l'autre est né dans ces lieux.

    Tel autre y tient par de lointains aïeux.

    Et si l'on est pas davantage,

    On est Briviste... de passage.

    Accaparer l'élite est chez nous un usage,

    Et puisqu’en vous nous retrouvons,

    Plus raffinés nos meilleurs dons,

    Nous n'en doutons plus : quelque attache,

    Peut-être un peu faible, un peu lâche,

    Mais enfin un petit lien

    Vous fait notre concitoyen.

    Sans renoncer à la Lorraine

    Et sans trop contrister la Seine,

    Vous pourrez, nous nous en flattons,

                  Nous accorder l'honneur que nous revendiquons

    Les rues de Brive pavoisées (Sources : Col. JPC et delcampe.net)                                       Et nous laisser vous mettre en tête de la liste

    Dans notre DE VIRIS ILLUSTRIBUS briviste ».

      Marguerite GENES

    « Le douze septembre mil neuf cent treize, M. le Président de la République Poincaré, répondant à l'invitation du conseil municipal de visiter le Limousin en se rendant aux manœuvres d'automne, dans le Sud-Ouest, et de comprendre Brive dans son itinéraire, est descendu à l'hôtel de ville, où le maire et les adjoints ont eu l'honneur de lui présenter le conseil municipal et le Syndicat d'initiative du Bas-Limousin, organisateur de la tournée touristique présidentielle dans la région. Pour conserver dans nos archives le souvenir de cet événement mémorable, le Livre d'Or de la commune a été présenté à sa signature, ainsi qu'à celle de M. le Ministre de l'intérieur et des hauts fonctionnaires qui l'accompagnaient ».


       Le Président quitte la mairie (à gauche, Col. JPC - à droite, Doc. delcampe.net)

    Et maintenant, en route par la rue Carnot, sous un dais de feuillage et de banderoles, vers la sous-préfecture, qui se trouve provisoirement route de Bordeaux (anciens locaux de la Banque de France). A la sortie de la mairie, la Sainte Cécile joue la Marche Lorraine. A leur arrivée à la sous-préfecture, c'est la musique de l'école d'artillerie d'Angoulême qui leur fait les honneurs. Au nom des dames de Brive, Mme Bos et Melle Priolo offrent des fleurs à Mmes Poincaré et Klotz.

    Le déjeuner présidentiel

    La Sainte Cécile et les Touristes ont donné une aubade, puis la Philharmonique a attaqué des airs limousins, sous la direction de M. Elie Breuil, compositeur, son chef ; puis MM. Léon Branchet et Fernand Mercier ont joué sur la vielle une autre série d'airs populaires du pays, gaies marches nuptiales et bourrées, terminées par une sélection des « Chansous Galhardas », première audition à Brive. Cette brillante audition musicale continue pendant le repas. La salle de spectacle est fort bien décorée. Le banquet comprend environ 90 couverts. Deux grandes tables sont dressées parallèlement.

    Le Président préside la première. Il a à sa droite : Mme Bos, femme du maire ; M. Lachaud Député ; à sa gauche, Mme Klotz, M. Rouby, président du conseil général. En face de lui, sont : Mme Dafas, femme du sous-préfet de Brive ; M. Vergé, préfet de la Corrèze ; MM. Tavé et Delmas, députés ; M. Henry de Jouvenel.

    L'autre table est présidée par Mme Poincaré qui a, à ses cotés : Mr Dellestable, sénateur, M. Bos, maire, Mme de Jouvenel, M. Bussière, sénateur. En face sont placés M. Klotz, ministre de l'intérieur ; Melle Priolo, reine des reines du félibrige, en gracieux costume limousin ; M. Doussaud, député ; Mme Malhet, femme du premier adjoint, M. Daffas, sous-préfet.

    Parmi les autres convives, nous remarquons : le général Beaudemoulin, le colonel Aubert, M. R. de Lasteyrie, membre de l'Institut, M. Mollard, directeur du protocole, tous les conseillers municipaux, M. le colonel Verdet, major de la garnison, MM. Lamy, président de la Fédération du Centre, Laurier, conseiller général, président de la commission départementale, Ligeois, président du conseil d'arrondissement, Léon Roche, directeur de « La République », délégué de la presse locale.

    Le service est fort bien fait. Voici le succulent menu, préparé par le maître traiteur Rivière :











                      Le menu (Doc. Archives municipales de Brive -  cote 40S67)

    Au champagne, de gentils bambins offrent de jolies gerbes de fleurs à Mme et M. Poincaré - qui les remercient en les embrassant – et aux autres dames présentes.                                   

    M.Bos, maire se lève et s'exprime ainsi :

    « Monsieur le Président, Messieurs,

    C'est un grand honneur pour moi de saluer aujourd'hui, au nom du conseil municipal et de la ville de Brive, entouré de cette brillante réunion de fonctionnaires et de délégués élus de la nation, l'homme d'Etat de haute culture et intelligence, à qui le Parlement français a confié la destinée du pays dans des circonstance particulièrement difficiles. Monsieur le Président, nous apprécions tous du fond du cœur l'acte généreux que vous avez accompli en venant, malgré les fatigues d'un voyage pour ainsi dire à étapes forcées, visiter nos sites pittoresques, nos monuments, témoins de notre passé glorieux et montrer la voie aux étrangers qui, à l'avenir désireront les connaître. Cet hommage rendu à notre petite patrie témoigne de sentiments élevés que vous inspirent vos nobles fonctions et de l'intérêt que vous portez à tout ce qui peut favoriser la prospérité nationale. La ville de Brive vous en est particulièrement reconnaissante et conservera de votre passage un souvenir ineffaçable. Porte riante du Midi, d'après le poète Jasmin, elle sera désormais « le nid verdoyant et parfumé », où le touriste vient se reposer, comme vous l'avez si aimablement exprimé au banquet de Limoges. C'est dans ces sentiments de respect et de profonde gratitude, Messieurs, que je vous propose de lever vos verres en l'honneur de nos hôtes éminents, M. le Président de la République et Mme Poincaré, et de boire à leur santé, à la prospérité de la France, de la République et de la ville de Brive ».

    M. Poincaré prononce à son tour une courte allocution, « C'est moi, dit-il, qui doit des remerciements à la municipalité de Brive et à sa population, pour le charmant accueil qui m'a été fait ici. Aussi, c'est de grand cœur que je lève mon verre en l'honneur de Brive-la-Gaillarde et de sa municipalité républicaine ».
    En sortant de la salle du banquet, le Président se rend à pied à la sous-préfecture ; il a à sa droite Mme Poincaré. Sur la même ligne marchent M. Mollard et le maire, Melle Priolo suit au bras de M. Klotz, qu'accompagne Mme Klotz. Le Président et Mme Poincaré sont très acclamés. La gracieuse reine des reines, ne l'est pas moins. Le Président et Mme Poincaré rentrent à trois heures, à la sous-préfecture.


                                                                La sortie du théâtre où a eu lieu le banquet officiel (Col. M. C.)

    Le déjeuner de la presse et le théâtre de verdure

    A la même heure avait lieu un déjeuner offert par le Société de Géographie à la presse, sur la terrasse du collège ; cent invités y assistaient, parmi lesquels les membres des différents syndicats, M. Labbé, secrétaire général de la Société de Géographie de Paris, président de ce banquet, agrémenté par la présence de la musique de l'école d'artillerie d'Angoulême et de la Lyre Briviste. Ajoutons que dans les différents banquets offerts pendant le voyage présidentiel, l'eau La Chateline de la Haute-Vienne, qu'on sait être la boisson favorite du Président, a figuré sur toutes les tables et a été très appréciée.

    Au champagne, prennent successivement la parole : MM. Paul Bourdarie, explorateur ; Charles Brun, délégué général de la Fédération régionaliste française, Louis Miginiac, l'éloquent avocat du barreau de Brive, Robert Bos, au nom de son père, le maire, retenu au déjeuner présidentiel ; le docteur Vialle, directeur de La Brise, pour la presse locale, M. Gaussorgue, pour la presse parisienne et enfin, le président, M. Labbé, qui fit un juste éloge de l'organisateur, notre ami, M. Ruffin, et trinqua à la reine du Félibrige, Melle Priolo, qui venait d'arriver pour le Théâtre de Verdure.

    La Société d’Horticulture offrait aux yeux des convives le spectacle riant d'un jardin d'exposition, artistiquement paré de richesses maraichères et florales du fécond terroir briviste, tandis que, toujours en l'honneur de la presse, se dressait dans une cour contiguë, un théâtre de verdure, qui a fourni la partie la plus originale, autant que réussie, des fêtes de cette journée. Une foule élégante, où l'élément féminin arborait ses plus fraîches toilettes d'été, avait accouru aux invitations pour se joindre aux journalistes, devant une scène toute formée de branches de châtaigniers et de fleurs de bruyères. Et les organisateurs avaient tenu à ce que les artistes, interprétant des œuvres du cru, formassent le programme presque en entier. Il est vrai que Brive a la bonne fortune de posséder des maîtres dans leur art, comme l'éminente pianiste, Melle Blanche Selva, briviste de famille et de naissance, qui avait bien voulu descendre de son chalet du Viallemur pour exécuter, sur un Errard, quelques-uns des morceaux qui ravissent à Paris les auditeurs de ses concerts à la « Scola cantorum » ou ailleurs... Puis un professeur de diction et d'art dramatique, comme Mme Hennequin, a pu former une troupe d'élite de jeunes gens et de jeunes filles qui ont, avec Melle Priolo et M. Margerit, interprété le « Baiser à la Source », de notre compatriote André de Lachapelle. 


                               Au Théâtre de Verdure, Melle Priolo et M. Margerit (Doc. Archives municipales de Brive - cote 1S 19-200)

    Et, maître d'orchestre et de chœurs, vraiment fort expert, le professeur Delsart a dirigé les chants de la « Pastorale sur des airs Limousins », avec, en solo, la superbe voix de Mme Aujol, née Malaval, admirablement soutenue par celles de toute une cour de gracieuses jeunes filles en coiffes et barbichets, même en costumes anciens du pays très bien reconstitués, avec jeannettes et bretelles locales comme parures. A part, M. Margerit et Melle Desguin ont chanté les dialogues populaires du Jaloux et de la belle Mariou, « Corbleu Mariou ! » puis « Bela Fransoun », versions limousines, et M. Margerit débite même des vers de nos poètes, Jean Rebier, Verlhac-Monjauze, Mayéras, etc.

    Mais le « clou » de cette matinée a été certainement l'apport de MM. Léon Branchet et Fernand Mercier. Tout d'abord, Léon Branchet se faisait entendre pour la première fois en public à Brive, depuis plus de vint-cinq ans, alors qu'il avait acquis à Paris cette notoriété sans pareille pour son répertoire limousin, si gouté par la colonie. Cette fois-ci, il donnait à ses concitoyens une primeur de chants – dont il venait de faire apprécier la musique sur vielle au déjeuner offert à M. Poincaré ; c'étaient « Las Chansous Galhardas », ou tout au moins des extraits de ce recueil : « Lous Coujous », « Chaz la maire Antoana », « Lou Pilhaire », « Lou Viellaire » »..., que sais-je encore ? Sa voie chaude et prenante, son allure avenante, son jeu, sa bonhomie, sa belle diction limousine, enlevèrent tellement les suffrages, que les applaudissements lui faisaient égrener toute une suite de ses compositions, qu'accompagnaient au piano son neveu, Fernand Mercier. « Las Chansous Galhardas » ne pouvaient être mieux lancées triomphalement à Brive, pour une souscription qui est désormais ouverte. Ajoutons que la Lyre Briviste en a aussi chanté en cœur un morceau de Léon Branchet : « Lous Souchiers » (Les Sabotiers), destinées, a être vite

    populaire, car, sur l'air connu, c'est la saboterie briviste qui est célébrée. Nos deux artistes sont revenus, à la seconde partie de la séance, avec leurs vielles, dont ils tirent de véritables effets d'orchestre, - une étonnante révélation pour les brivistes et leurs invités, - en jouant nos airs limousins harmonisés « ad hoc » par Branchet. Leur succès a été de nouveau aussi vif que possible... mais il s'est accentué pour ainsi dire, quand M. Fernand Mercier a chanté avec Melle Priolo, les dialogues du Chasseur (en français), et de la Bergère (en limousin) ; quand il a entonné une autre chanson limousine. Et dernier triomphe, pour terminer la représentation, Léon Branchet a conduit avec sa vielle, les joyeuses figures des bourrées limousines, dansées avec un art sans égal, par Melles Priolo et Vialle, MM. Fernand Mercier et Maurice Priolo ! Les bravos redoublaient à chaque morceau de cette originale et délicieuse matinée de théâtre de verdure. Et bon nombre étaient adressés à Melle Marguerite Priolo, si gracieuse dans son costume local si seyant, et qui s'est admirablement prodiguée dans ses divers rôles dramatiques, lyriques et chorégraphiques. La charmante reine du Félibrige suscite toujours l'enthousiasme.                    Melle Priolo (Doc. delcampe.net) ===>

    Mais une part du succès revient certainement, très grande dans l'organisation, à la dévouée collaboratrice de la présidente de la fête, Melle Marguerite Genès, qu'il nous faut nommer ici, d'autant plus qu'elle se cachait parmi tant d'autres, dans le public, ravi du beau programme limousin de cette représentation si réussie.                                                                                                                  

    Au dehors, la fête populaire battait son plein, avec des réjouissances d'un copieux programme sur la Guierle et sur chacune des places de la ville, si largement étendue à l'aise dans sa plaine.

      M. Poincaré visite l'hôpital

    A 5 h. 30, le Président de la République décide de se rendre à l'hôpital situé à l'extérieur de la ville. Cette visite n'est pas prévue au programme du voyage et est ignorée de la population. M. Poincaré voulut s'y rendre à pied et incognito. Une foule nombreuse l'entoure et lui fait escorte jusqu'à l'hôpital. On l'acclame chaleureusement. L'hôpital dont les bâtiments nouveaux ont pu être édifiés grâce à une importante subvention du pari mutuel, comprend 268 lits, affectés aussi bien aux civils qu'aux militaires. En outre, un certain nombre de vieillards y sont hospitalisés. A l'heure actuelle, soixante civils et dix-huit militaires y sont en traitement.

    Le Président de la République, accompagné de MM. Klotz et Bos, maire de Brive, du docteur Lachaud, député, s'arrête aux chevets de tous les malades, adressant la parole à plusieurs d'entre eux. Avant de se retirer, il remet une somme de 500 francs au maire pour l'hôpital.

    Le repos du Président

    Vendredi matin, au train de 4 h. 28, un courrier présidentiel, avec deux préposés à la signature, portaient à M. Poincaré 70 dossiers au moins pour qu'il les ratifiât de son seing. A la sous-préfecture de Brive, après le déjeuner, deux à trois heures lui ont été nécessaires pour apposer non nom au bas de combien de décrets, datés de Brive-la-Gaillarde ! Le soir, le Président et Mme Raymond Poincaré dînent dans l'intimité avec le ministre de l'intérieur et Mme Klotz, à la sous-préfecture.


                                              Vue actuelle de l'ancienne Sous-préfecture, au 6-ter avenue du Président Roosevelt,                                                                                            où Raymond Poincaré et son épouse passèrent la nuit (Cliché JPC)

    La soirée

    Brive, qui avait reçu, dans la matinée, le Président de la République avec un si grand enthousiasme, a continué, le soir, son grand air de fête ; toute la ville était abondamment illuminée : l'avenue de Paris, la Guierle, la rue de l'Hôtel de Ville, la rue Carnot et certaines autres rues sont féeriques, notamment dans la rue Gambetta , où les grands magasins de La Ménagère, drapés et tout couverts d'une large tenture tricolore, s'étaient surpassés comme illumination merveilleuse, qui attirait tous les promeneurs de ce coté là. Toutes nos félicitations à M. Audureau et à tout son personnel.

    L'arc de triomphe, au bas de l'avenue de la gare, ne doit pas être oublié avec ses exergues : « Vive la Lorraine ! », et « Le Bas-Limousin à la Lorraine ». A signaler aussi les belles illuminations des commerçants de la rue Toulzac et de bien d'autres ; comme décorations particulières sur les boulevards, brillamment illuminés, il y a lieu de citer la maison de M. Raoul Gerber, sur le boulevard du Salan, et de notre excellent confrère de La Croix, sur le boulevard de Corrèze. Vu le grand nombre, il nous serait trop long pour énumérer toutes les maisons dont les illuminations ont été remarquées par cette énorme foule d'étrangers et de Brivistes qui se rendaient place du XIV Juillet, pour entendre le concert que donnait l'excellente musique de l'école d'artillerie d'Angoulême.

    Sur la Guierle, aux bosquets étincelants de lumières en girandoles, le feu d'artifice a été très brillant, et surtout bruyant ; c'était un des plus beaux qu'on ait jamais tiré à Brive. Nos félicitations pour le choix des pièces. Le clou : « Vive Poincaré » a été d'un fort bel effet. Une foule énorme suit ensuite la retraite aux flambeaux de la musique d'artillerie, de la Sainte Cécile, et des tambours et clairons des Touristes de Brive. Jamais d'ailleurs, par cet idéal temps d'automne, on ne vit tant de monde ; la création de trains spéciaux partant vers minuit dans toutes les directions avait permis à beaucoup d'étrangers de passer le soirée à Brive.

    M. De Jouvenel reçoit les journalistes

    M. Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du « Matin », et qui fut on le sait, l'agent le plus actif du mouvement créé en vue de faire connaître les beautés du Limousin, et Mme de Jouvenel ont offert un dîner en l'honneur des membres de la presse parisienne accompagnant le Président. C'était dans la grande salle des compagnons, avenue de la Gare, que ce splendide dîner a été servi par l'excellent Vatel, M. Miremont, buffetier.


    Parmi les convives se trouvaient : MM. De Monzie, sous-secrétaire d'Etat ; Bussière, sénateur ; Lachaud et Doussaud, députés, Charles Lamy ; Maurice Colrat, avocat à la Cour d'appel de Paris, directeur de L'Opinion ; J. Charles-Brun ; Oudaille ; L. de Nussac ; les préfets de la Haute-Vienne et du Lot. Au champagne, M. Colrat porta spirituellement un toast à la santé de Mme et M. de Jouvenel et de ses confrères de la presse. M. le docteur Lachaud, député briviste en fit de même, et M. Gaussorgues, syndic de la presse, parla au nom des journalistes parisiens. M. Henri de Jouvenel se lève ensuite, remercie et boit à l'union des journalistes, en les remerciant du concours dévoué qu'ils ont apporté pour faire connaître notre Limousin, méconnu des touristes.

    A 10 heures et demie, la Société de Géographie recevait à son siège social, au dessus du grand café Plaisance, les membres des syndicats d'initiative et la presse. Ce fut l'occasion d'un nouvel échange de propos aimables et il fut rendu, encore une fois, à M. Henri de Jouvenel, par MM. Charles Lamy, de Monzie et Lachaud, député, qui ont pris successivement la parole, un hommage bien mérité pour toute l'initiative de cette grande randonnée présidentielle et touristique dans notre pays.

    Toutes nos félicitations aux organisateurs de la fête de Brive, aux initiatives privées et particulières qui ont fort bien fait les choses, dont chacun garde un souvenir précieux.



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