- Poincaré : de Tulle à Brive


Journée du vendredi 12 septembre 1913

C'est la deuxième journée du séjour en Corrèze de Raymond Poincaré. Le départ de Tulle est prévu à 8 heures. Le trajet est le suivant : Naves, Seilhac (arrêt de 5 minutes), Uzerche (arrêt de 5 minutes), Lubersac (arrêt de 10 minutes), Pompadour (arrêt de 15 minutes), Juillac (arrêt de 5 minutes), Ayen (arrêt de 5 minutes), Objat (arrêt de 10 minutes), Le Burg, Varetz (arrêt de 5 minutes), entrée à Brive à 12 h 20.
Soit une distance de 108 kilomètres, parcourue à la vitesse moyenne théorique de 24 km/h.

(D'après le dossier coté 1M 99 aux Archives départementales de la Corrèze)

Ce programme minuté sera notablement modifié en cours de route, avec en particulier l'allongement de l'arrêt à Uzerche. Et toujours des arrêts imprévus, comme au Puy de Noix sur la commune de Beynat ou aux Noilhettes entre Lagraulière et Saint-Jal.


 Direction Seilhac

En quittant la préfecture de la Corrèze, pour « grimper » sur le route de Seilhac, en face du Puy-Saint-Clair portant le cimetière où tout bon tulliste veut reposer du coté de la « virade », face à la ville, on quitte les dernières maisons des faubourgs au lieu dit Le Balcon, le bien nommé. En passant, vis-à-vis de la prise d'eau pour la cité, aux Fontaines, saluons une maison blanche, longue galerie festonnée de toits, plaquée contre un puy élevé, le puy de Temporieux : c'est Bourrelou, la demeure-musée de notre ami Victor Forot. Les lacets de la route qui monte la côte de Naves, permettent encore d'apercevoir, dominant le massif des collines, l'imposante stature d'un château qui est Bach, le sanctuaire des Lettres limousines, pour son incomparable trésor d'archives et de livres, accumulés là par l'historien Gustave Clément-Simon, et conservés par son fils M. Frédéric Clément-Simon, secrétaire d'ambassade à Belgrade.

Naves apparaît à peine dans son repli de terrain du col de Baladour. L'attention est retenue plutôt par la vallée de la Vimbelle que l'on côtoie de haut, en encorbellement. Voilà un profond vallon creusé entre des pays couverts tantôt de bruyères, tantôt de bois, avec un fond de prairies. Les mamelons de Bar, d'Orgnac-de-Bar, sont tous dominés par les globes majestueux de la chaîne des Monédières, qui font un incomparable fond de tableau à ce panorama grandiose.

Mais nous voici déjà à Seilhac, dont le coquet château montre ses tourelles dans l’entrebâillement des allées de son parc.

Cette commune a bien fait les choses ; sur tout le parcours du Président, les maisons sont pavoisées et décorées de draps fleuris ; des guirlandes traversent la route. A l'entrée de la ville, un arc de Triomphe de verdure a été dressé ; il y en a un autre devant la bascule, où le Chef de l'Etat doit s'arrêter.

Le cortège arrive à 8 h. 30 ; la « Seilhacoise » joue la Marseillaise ; tout le monde se découvre. Le maire, entouré du conseil municipal et des fonctionnaires, s'avance vers la voiture présidentielle et dit :

« Monsieur le Président, j'ai l'honneur de vous présenter le conseil municipal et les fonctionnaires de Seilhac. Quelle joie, pour nous tous, de recevoir dans notre petite cité, le Chef de l'Etat. Je puis vous assurer, Monsieur le Président, que vous êtes ici au milieu d'une population profondément attachée à la République dont vous êtes le digne chef. En leur nom, permettez moi de vous exprimer le vœu que le voyage que vous avez entrepris, dans nos belles campagnes du Plateau central, puisse se terminer dans les conditions les plus favorables. D'un autre côté, votre courte visite restera ineffaçable de notre mémoire. Vive la République ! Vive son Président ! »

M. le Président de la République, debout dans sa voiture, remercie le maire et le conseil municipal pour le gracieux accueil qui lui est fait. Il dit combien sa joie est grande de poursuivre son voyage à travers un pays aussi gai et par le temps merveilleux qui le favorise. M. Poincaré a un mot aimable pour la fanfare de Seilhac et salue, avant de repartir, la population qui l'acclame ; puis le cortège s'ébranle au milieu d'une nouvelle ovation.

Et direction Uzerche


<=== Sur la route, entre Tulle et Uzerche, le passage du Président de   la République   (Source : Delcampe.net)


Oh ! Quelle rapide descente du petit château de Maubec, au bas d'Uzerche ! Même le renommé hôtel Alaluquetas n'a pas le don de nous arrêter... Et, sur son roc, avec le faisceau de ses châteaux à tours et tourelles jusqu'à son clocher culminant, se dresse la ville fantastique d'Uzerche. Le cortège présidentiel doit mettre un pied à terre pour s’engager dans la rue que pare la porte monumentale Barachaude, flanquée de tourelles, passer auprès du château du général Brugère, enfant de l'endroit, se faire montrer celle du chirurgien de Napoléon, Alexis Boyer... On comprend les prétentions de cette ville si moyenâgeuse, pour être l'emplacement d'Uxelodunum, en voyant sa belle stature féodale dont les pieds se baignent dans la Vézère l'entourant de trois côtés.

C'est par une matinée splendide que M. Poincaré a fait son entrée dans Uzerche. Un soleil radieux, que les jours précédents ne faisaient pas présager, dans un ciel d'une limpidité parfaite, une brise légère et peu de chaleur, sauf dans l'enthousiasme qui a accueilli notre hôte illustre. A l'entrée de la ville, au bassin des fontaines, un portique très quelconque a été dressé, portant une banderole : « Soyez le bienvenu ». Le faubourg de la Pomme, entièrement ouvrier, qui commande au sud l'entrée d'Uzerche, a été jalonné de baliveaux surmontés de drapeaux tricolores. A chaque maison, même la plus modeste, flotte au moins un drapeau.

Arrivée à la hauteur de la maison Molinier, d'où par une échappée on découvre une

vue merveilleuse de la ville  en  amphithéâtre, l'auto présidentielle s'arrête. Le général Brugère, en civil, la médaille militaire à la boutonnière, se trouve là et souhaite la bienvenue à M. et Mme Poincaré, qu'il invite à descendre pour contempler un peu mieux le splendide panorama qui se déroule sous leurs yeux. Au loin, les drapeaux claquent au vent et les cloches de l'église abbatiale sonnent à toute volée. Cette descente n' était pas prévue mais le général tenait à présenter lui-même sa ville natale, et il l'a fait d'une façon parfaite, au milieu des ovations à M. Poincaré. Nous sommes heureux de reproduire les termes de cette allocution :

« Je suis particulièrement heureux, dit-il, de vous saluer, de saluer Mme Poincaré, à votre entrée dans ma ville natale, ce vieil oppidum gaulois, resté place forte au moyen-âge ; qui, si j'en crois la légende, est vierge de toute souillure de l'étranger. Et qui si la légende n'est pas exacte, a la prétention justifiée d'être Uxellodunum, c'est à dire le centre de la dernière résistance des Gaules aux armées de César. Il y a quelques années, dans mes inspections, dans les manœuvres ou voyages d'état-major, que je dirigeais, je traversais souvent la Lorraine, et je m'arrêtais quelquefois à Liverdun. Cette jolie petite ville, située sur une hauteur, baignée à ses pieds par la Moselle, entourée de bois et de prairies avec ses ponts et viaducs superposés, me rappelait Uzerche, vous rappelle Liverdun. Ce sera un trait-d'union entre nos deux belles et patriotiques provinces : le Limousin et la Lorraine, qui ont à un degré égal la haine de l'envahisseur ».

Le Président lui répond qu'Uzerche est bien plus beau que Liverdun, et il aura, un peu plus loin l'occasion de revenir là-dessus.


<=== Le Président contemple le panorama  d'Uzerche sur la vallée de la Vézère (Cliché L'Illustration n° 3682 du 20-09-1913 - Col. JPC)

Une petite métayère du Général, coiffée du barbichet, offre à Mme Poincaré un joli bouquet de bruyères. On se remet en route ; la place de la bascule, où descend le Président, a bien fait les choses ; elle regorge de monde, on crie, on acclame M. Poincaré.


Ci-dessous : le Président descend de voiture (Source delcampe.net) (localisation incertaine)



La première personne à qui ensuite le Président serre la main est M. Edouard Delpeuch, ancien député de la circonscription et sous-secrétaire d'Etat. Le maire, M. Magne, entouré de ses deux adjoints, souhaite la bienvenue au Président qui répond quelques mots. Pendant ce temps, deux gentils bambinets, en villégiature, offrent une petite gerbe de fleurs à Mme Poincaré qui les embrasse.

C'est ensuite au tour de nos concitoyennes. Cinq jolies fillettes, vêtues de blanc, coiffées du barbichet, lui offrent, ainsi qu'à Mme Klotz, deux merveilleuses gerbes de fleurs, provenant des jardins de l'hospice, admirablement disposées par la sœur Véronique, une fervente disciple de Flore et des cartes postales d'Uzerche. Mmes Poincaré et Klotz ont un mot aimable pour chacune des fillettes, Melles Magne, fille du maire, Magoutière, Faugeras, Laforêt, filles de conseillers municipaux.

Les cinq jeunes filles (qui ne sont en fait plus des fillettes !) chargées d'offrir les fleurs ===>

On entre ensuite en plein cœur de la vieille cité, rue Porte Barachaude, très bien décorée. Le général Brugère donne le bras à Mme Poincaré ; M. Doussaud, député, à Mme Klotz. A l'entrée une guirlande de feuillage, surmontée d'une croix de Lorraine, porte l'inscription : « A notre hôte, salut ». Puis la porte Bécharie apparaît, presque seul reste du passé guerrier de la ville féodale. Le cortège s'y engouffre et on arrive à la place de la Mairie ; là, les habitants ont bien fait, eux aussi, les choses. L'initiative privée y est pour beaucoup, aidée du secrétaire de la mairie, M. Moury. Une avenue de piquets enguirlandés de feuillages, surmontés de faisceaux de drapeaux et reliés par des banderoles tricolores borde deux cotés de la place. La mairie a arboré son grand pavois.

On crie de plus belle : « Vive Poincaré ! », et la voix des cloches accompagne les acclamations. La place est noire de monde, à toutes les fenêtres d'élégantes toilettes. La réception de la municipalité a lieu sur la place dite de la Lunade. Là le Président et sa suite admirent la splendide vue de la vallée de la Vézère avec la rivière contournant la ville. Puis les présentations ont lieu. C'est d'abord le conseil municipal d'Uzerche, puis les maires du canton. Pour tous, le Président a un mot aimable. Au maire d'Uzerche, il répond ceci :

« Je remercie M. le maire d'Uzerche de ses aimables souhaits, en même temps que je suis heureux de saluer votre illustre compatriote, M. le général Brugère. Il me demandait, il y a un instant, si vos vieilles tourelles ne me rappelaient pas une ville lorraine, celle de Liverdun. Je trouve, en effet, même ressemblance à Uzerche et à cette ville, mêmes sentiments dans les deux populations au cœur patriote. En admirant votre belle cité, j'ai compris toute la vérité du proverbe qui dit que : qui a une maison à Uzerche, a château en Limousin. Je connais également la vérité de vos armoiries figurant un taureau sur des épis de froment. C'est une allusion à votre vaillante défense contre les Sarrazins. Ils sont l'emblème de vos sentiments de fidélité et de dévouement à la Patrie ! »

Tonnerre d'applaudissements . On crie « Vive Poincaré ! Vive Mme Poincaré ! »

Le général Brugère, président d'honneur de la Société d'études historiques et archéologiques, tient absolument à présenter les membres du comité et explique le but poursuivi : ressusciter le passé de notre ville et de ses environs. Le comité, dit-il, s'est attelé à la besogne de démontrer qu'Uzerche est bien Uxellodunum ; il travaille sérieusement dans ce but. M. Poincaré répond en félicitant la Société des travaux qu'elle a entrepris ; il dit qu'il n'a pas qualité pour trancher la question d'Uxellodunum, mais qu'il s'intéressait à tous les travaux qui avaient pour but la recherche de la vérité, et qu'il était très heureux de voir des hommes dont les études pouvaient peut-être arriver à la solution du problème historique, posé depuis si longtemps. M. Poincaré serre la main à M. Breuil, ancien maire, président effectif.

Puis on se dirige vers la table du buffet, servi en plein air, par une gentille Uzerchoise, coiffée, celle-là de la vraie coiffe du pays, le « demizou ».

 





Ci-dessus, gros plan : la réception, place de La Lunade (Cliché L’Illustration n° 3682 du 20-09-1913 - Col. JPC)


<=== (Doc. Archives municipales de Brive - cote 1S 19-200)


On repart et on passe rue Porte-Mousty, à l'entrée de laquelle une banderole porte : « Uzerche, la Perle du Limousin, vous remercie de votre visite ». Avenue de Tayac, par laquelle passe le cortège pour regagner les autos, on laisse à gauche la rue de la Justice, la vieille rue d'Uzerche, où est le vieux château, jadis demeure des gouverneurs, des sénéchaux, où descendaient les papes et les rois, et habitée alors par les juges, les procureurs, avocats, d'où son nom. On craint que la déclivité du bas de la rue ne fut une cause d'accidents. Le Président est pourtant un ancien chasseur alpin ; il en a gravi et descendu de bien plus raides.


(Doc. Archives municipales de Brive - cote 1S 19-200)

Le Président monte en auto. On l'entoure ; de toutes parts on lui crie : « Parlez, deux mots ! ». Alors, debout, saluant d'un geste large, d'une voie qui porte au loin, il adresse quelques paroles d'adieu : « Je remercie la population d'Uzerche de son accueil et je puis l'assurer que je conserverai un précieux souvenir de ma visite dans sa charmante ville ». C'est alors un enthousiasme fiévreux ; les cris : « Vive Poincaré ! » se répercutent dans la vallée. Au moment où le Président va enfin repartir, le général Brugère présente à sa signature le procès-verbal de son passage à Uzerche, pour rester au livre d'or de la commune. Mais le Président : « Signez d'abord, dit-il au général ; je signerai après ». Et le cortège s'ébranle route de Paris, pavoisée avec infiniment de goût. Sur la terrasse de l'hôtel Moderne la batterie du patronage de Sainte-Eulalie sonne et bat « aux champs ». Le Président salue les musiciens, comme il saluera tout le long du parcours. Devant l'hospice, autre portique, avec : « Vive Poincaré ! ».

On traverse la Vézère, sur le Pont Neuf, et on s'engage dans le tunnel, long il y a quelques années, de 280 mètres, et qui n'en a plus que 80 depuis la construction du chemin de fer de Tulle. Le faubourg du Tunnel, qu'habite le Maire, s'est distingué. Partout des drapeaux . C'est la sortie de la ville ; un dernier portique porte l'inscription : « Vive Poincaré ! ».

Maintenant que notre hôte est parti, remercions le encore une fois de la bonne grâce avec laquelle il a répondu aux désirs des habitants. Remercions, dit notre correspondant local, le général Brugère, qui nous a fait favoriser dans la mesure du possible, en faisant arrêter trois quarts d'heure le Chef de l'Etat. Remercions Mme Poincaré de la grâce aimable avec laquelle elle a accueilli nos jeunes concitoyennes. Que tous nos vœux l'accompagnent. Ajoutons enfin des félicitations pour le service d'ordre, assuré par les pompiers uzerchois et les gendarmes, sous la direction de M. Delannet, maréchal des logis.

En sortant d'Uzerche, à 9 heures, arrêt à Salon-la-Tour, bouquet pour Mme Poincaré et bouquet pour Mme Klotz ; enfin Lubersac...

A Lubersac

Lubersac a mis sa parure des grands jours. En quelques heures, la ville a été complètement transformée. Partout ce n'est que verdure et fleurs. Le soleil, hier encore boudeur, consent ce matin à se montrer ; ses chauds et clairs rayons font scintiller l'or des cartouches et rehausse l'éclat des tentures. C'est un aspect féerique qu'offrent aux regards la longue rue Saint Jean, la place Municipale et la rue de la Grâce, avec leurs nombreux arcs de triomphe, somptueusement décorés, leurs maisons pavoisées. Aux fenêtres flottent d'innombrables drapeaux et des banderoles portant l'inscription : « Vive Poincaré ! ». Sur la place de l'Hôtel de Ville et adossée à la mairie, a été édifiée une grande estrade, superbement décorée, où prendront place les personnages officiels et divers fonctionnaires. Dès huit heures du matin, les habitants de la campagne, de la ville et de nombreux étrangers, venus par les premiers trains, circulent en longues théories dans les rue aboutissant à la place Municipale, où doit avoir lieu la réception.

Toutes les physionomies reflètent la joie et enthousiasme. La musique l' « Indépendant » de Coussac fait son entrée dans la ville, aux sons d'un allegro entraînant. A 9 heures, la foule est compacte. Le service d'ordre, assuré par la gendarmerie, a déjà fort à faire. Le conseil municipal et les fonctionnaires prennent place sur l'estrade, où viennent se ranger aussi les anciens combattants de 1870, puis, derrière, la musique. Une cinquantaine de jeunes filles, costumées en paysannes et en blanc, coiffées du gracieux barbichet, forment un cercle ravissant au milieu de l'estrade, où sont déposées de nombreuses et belles gerbes de fleurs. Trois gentilles fillettes, coiffées du bonnet phrygien sont chargées de remettre au Président de la République et à Mme Poincaré, un superbe bouquet.

A dix heures exactement, une automobile passe et nous informe que le Président n'arrivera que dans vingt minutes. Il est exactement 1 h. 15 quand la voiture présidentielle arrive sur la grande place et s'arrête devant la tribune officielle. Mme Poincaré étant à coté du Président, de nombreux cris de : « Vive Poincaré, Vive Mme la Présidente, Vive la Lorraine ! » éclatent de toute part ; la musique attaque la Marseillaise.

M. Bellière, maire de Lubersac, s'avance vers le Chef de l'Etat et prononce la courte allocation suivante :

« Monsieur le Président, Au nom du conseil municipal et du canton de Lubersac, nous vous souhaitons la bienvenue dans notre petite ville et vous remercions vivement de votre passage parmi nous. Nous vous souhaitons, Monsieur le Président, un bon voyage ensoleillé à travers notre beau Limousin. Encore une fois, merci ! »

Une gentille fillette, Melle Suzanne Bellière, fille de notre maire, offre un bouquet à Mme Poincaré, en lui débitant un petit compliment. M. et Mme Poincaré embrassent la fillette. « Merci, ma chère enfant, ajoute le Président. Vous êtes une gentille « petite République » ! » M. le commandant Girat a offert ensuite à

Mme Poincaré, au nom des anciens combattants de 1870, une superbe gerbe de fleurs. Mme Poincaré remercie, très émue, disant que ces fleurs lui sont agréables. M. Doussaud, député qui est un enfant de Lubersac, s'adresse à son tour, dans les termes suivants à Mme et M. Poincaré :

« Permettez moi, Monsieur la Président de la République, au moment où vous entrez dans ma circonscription, de vous dire la joie et la fierté qu'éprouvent nos populations limousines d'avoir votre visite. Hier, Monsieur le Président, vous avez admiré le coté de la Corrèze hardi et beau comme votre nature. Aujourd'hui, le décor change. Vous allez voir un site joli, dont la flore s'harmonisera avec le sourire de Mme Poincaré ».

M. Poincaré répond en ces termes :

« Je suis particulièrement touché de l'accueil charmant de la commune de Lubersac. La population a fait les préparatifs les plus délicats et les plus artistiques en mon honneur. Je l'en remercie. A vrai dire, durant la longue traversée des villes limousines, j'ai marché d'agréables en agréables surprises, mais parmi les plus charmantes, celle de Lubersac, la votre, une des plus gracieuses, restera gravée dans mon souvenir ».

L'enthousiasme est indescriptible. On crie à tue-tête et sans cesse : « Vive Poincaré ! »

A Pompadour

De Lubersac à Pompadour, le trajet est court. Vingt minutes suffisent à le parcourir. Pavoisement, arcs de triomphe, fanfares, c'est maintenant, avec la foule, ce qui attend partout M. Poincaré. Mais ici nous rencontrons, alignés comme des soldats, dans leur uniforme de toile bise, les garçons et les jeunes filles de la colonie scolaire de M. Lajarrige, conseiller municipal de Paris. Cette colonie, qui séjourne dans le monastère désaffecté du Glandier, s'est déplacée pour saluer le Président. De toute la force de leurs poumons, ils crient : « Vive Poincaré ! Vive la République ! »

Un essaim de jeunes filles, coiffées du barbichet, présentent des fleurs, pendant qu'une formidable ovation est faite au Président. Les voitures du cortège pénètrent dans la cour du château qu’elles contournent par des allées verdoyantes et se rendent ensuite aux haras.


 <=== Le Président arrive devant le château. Cette image de mauvaise qualité, est extraite d'une publicité faite ultérieurement, pour ses automobiles, par la maison Rochet-Schneider, fabricant du véhicule présidentiel (Doc. Internet)


Le cortège pénètre sur les pelouses. Douze magnifiques chevaux, dont cinq arabes, sept anglo-arabes, parmi lesquels deux orientaux, sont tenus en laisse par leurs jockeys en casaque rouge. Le directeur, M. Jousset, assisté de M. Ambroise, vétérinaire en chef, a présenté au Président ces magnifiques coureurs. Mmes Poincaré et Klotz ont échangé d'agréables propos sur les beautés de ce cadre incomparable. Mme Klotz souhaiterait une villégiature si agréable : « Je ferai nommer mon mari administrateur des haras de Pompadour », dit-elle. Le ministre et l'intérieur sourit et déclare qu'il ne serait pas si mal partagé. Le Président de la République s'intéresse vivement aux superbes chevaux qu'il ne se lasse pas d'admirer. C'est que, observe Mme Poincaré, le Président monte très bien à cheval ! Le cortège quitte à regret ce cadre merveilleux accompagné des officiers qui ont droit à toutes les félicitations pour l'entretien de leur superbe haras, qui fait l'orgueil et la richesse du Limousin.

A Juillac et Ayen

Il est onze heures trente lorsque M. Poincaré reçoit les hommages de la commune de Juillac, riante et parée de verdure ; des fleurs sur le pas des portes, aux balcons et aux fenêtres, de la joie sur les visages et des voies remplies de joyeux vivats.

M. Gouyon salue le Président qui répond par des paroles très cordiales. Un air de musique par la fanfare l'Avenir de Juillac, encore des acclamations et le cortège s'ébranle dans la direction d'Ayen, où des gymnastes mêlent les couleurs éclatantes de leurs costumes à la féérie de la décoration. Un arc de triomphe porte cette inscription : « Vive la Lorraine ! ». C'est le quarantième que nous rencontrons depuis ce matin. 


Arrivée du Président à Ayen (Doc. AD 19 - cotes 2Fi 2305 et 2Fi 2306)

M. Pradet, maire […] remet à M. Poincaré copie du procès-verbal d'achat par la commune d'Ayen d'une cloche fondue en 1755, et sans doute par un ancêtre du Président de la République, du nom de Joseph Poincaré, originaire de Neuf-Château. Cette cloche est parmi celles de l'église, qui, en ce moment, tinte joyeusement.

« En passant sous vos arcs de triomphe portant l'exergue : « Vive la Lorraine ! », dit M. Poincaré, j'ai compris quels sont vos sentiments, et le souvenir lointain qu'évoque votre cloche me touche profondément : son fondeur était vraisemblablement de mes ancêtres, car ma famille est bien originaire de Neuf-Château. Ainsi est créé un lien de plus entre votre commune et nous ».

Quelques secondes d'aimables propos entre lui et la foule et M. Poincaré reprend sa route vers Objat, au cours de laquelle il rencontre un arc de triomphe splendide élevé à Perpezac-le-Blanc et un autre à Saint-Aulaire.

A Objat

La journée de jeudi a été précieusement employée par les habitants de la rue du Moulin-Neuf à pavoiser, orner cette longue avenue. L’effet obtenu est splendide. Pas moins de 14 arcs de triomphe ou guirlandes traversent cette rue sur une longueur d'environ deux cents mètres, qui présente l'aspect d'une magnifique allée de verdure. Nous remarquons particulièrement la décoration de M. la docteur Girodolle, que surmonte une croix de Lorraine en fleurons rouges, puis un gracieux ensemble de guirlandes situées devant l'hôtel Duranty et supportant un panonceau représentant la photographie de M. Poincaré sur les quatre faces. A l'entrée de la rue du Moulin Neuf, une banderole est placée avec ces mots : « Soyez le bienvenu ». A une centaine de mètres, une autre banderole porte cette inscription : « Vive Raymond Poincaré » ; puis à l'entré de la place de l'Hôtel de ville, une autre banderole porte écrit en grandes lettres : « Honneur au Président ». De nombreux oriflammes et drapeaux garnissent chaque fenêtre. Tous les édifices municipaux sont brillamment pavoisés. A 10 heures et demie, l'avenue du Moulin-Neuf regorge de curieux massés pour attendre l'arrivée de l'illustre visiteur. Devant l'hôtel de ville se tient M. J. Lascaux, maire, entouré de MM. Duroy, adjoint ; Coeuille, Buffière, Auger, Philippe, Duranty, Delage, Faye, Raynal, Crouzevialle, Chasseuil, Chastanet, Antoine Peyramaure, Etienne Peyramaure, Nuptia, conseillers municipaux. M. Léopold Coudert président de la 357° section des Vétérans des armées de terre et de mer est présent avec tout les vieux sociétaires alignés sur un rang, la poitrine couverte de glorieuses médailles et la bannière fièrement déployée. La fanfare, Les Enfants d'Objat, au grand complet se tient à une vingtaine de mètres en avant, dirigée par son dévoué sous-chef, M. Charles Vignal. Dans les premiers rangs de l'imposante assistance qui se presse autour du groupe municipal, nous remarquons M. Joseph Coudert, conseiller à la cour d'appel de Paris, M. Lafeuille, inspecteur primaire en retraite, et un grand nombre de personnalités de la localité et des communes limitrophes. Une foule imposante de curieux est venue des localités voisines pour applaudir le Président.

A 11 h. 20 apparaît la première auto, venant directement de Juillac, et portant le numéro 10. Puis à 11 h. 30 arrive une autre voiture dans laquelle se trouve M. Dafas, sous-préfet de Brive. Comme la première, la voiture passe sans s'arrêter, non sans que M. Dafas adresse un gracieux salut à la municipalité. A 11 h. 48, la voiture présidentielle est signalée à l'entrée de la rue du Moulin-Neuf. Des bravos, des cris : « Vive M. le Président ! Vive M. Poincaré ! Vive la République ! » éclatent de toute part. A son arrivée place de l'Hôtel de Ville, la fanfare joue La Marseillaise.

M. Poincaré apparaît apparaît revêtu d'un cache poussière gris, tenant à la main droite un chapeau de feutre mou, également gris, avec lequel il distribue, à droite et à gauche, de nombreux saluts, accompagnés d'un sourire presque continu. Il paraît visiblement touché de toutes les marques de sympathie qui lui sont prodiguées. Mme Poincaré, placée à sa gauche, sourit également très gracieusement.


<=== Mme Henriette Poincaré, épouse du Président (Cliché La Croix de la Corrèze  n° 1056 du 14-09-1913)


Devant le maire, l'auto présidentielle s'arrête. M. le Président se lève et écoute debout la courte allocution que lui adresse, en ces termes, M. J. Lascaux, d'une voie forte et assurée :

« Monsieur le Président, le maire de la modeste commune d'Objat, au nom de la municipalité et de tous ses administrés, a l'honneur de vous souhaiter la bienvenue dans cette localité. Il est surtout très heureux de remercier le grand citoyen qui, dans un moment difficile, n'a pas craint d'assumer la lourde responsabilité de l'administration de la France. Tous les français, Monsieur le Président de la République, vous sont profondément reconnaissants de ce dévouement patriotique qui, en retrempant les esprits, a fait naître dans tous les cœurs l'espérance de meilleurs jours. Vive la République, Vive Poincaré ! »


M. le Président répond aussitôt en ces termes :

« C'est avec un grand plaisir que je traverse votre charmante localité d'Objat, si brillamment décorée en cette occasion, de verdure, de drapeaux tricolores, et si admirablement située au milieu des vignes et vergers. Je vous remercie des sentiments que vous m'exprimez et je vous adresse l'expression de mon dévouement absolu ».

Les vivats et les bravos retentissent de plus belle, pendant que M. le Président serre de nombreuses mains tendues vers lui. Trois charmantes jeunes filles, habillées de toilettes blanches, ceintes d'une écharpe tricolore, présentent chacune un superbe bouquet symbolique à M. Poincaré. L'un est composé de fleurs bleues, l'autre de fleurs blanches, et l'autre de fleurs rouges. M. le Président accepte les bouquets et embrasse les mignonnes fillettes. L'enthousiasme est indescriptible. Une autre fillette, vêtue aussi de blanc, coiffée du nœud alsacien en ruban noir, présente un autre bouquet à Mme Poincaré, qui le reçoit avec de forts aimables remerciements. Puis la voiture présidentielle prend le départ et se dirige vers notre jardin public, qu'elle traverse dans sa petite largeur pour aller prendre la route de Brive.                           

M. Klotz reçoit également à son passage de nombreux vivats.

Mr Louis-Lucien Klotz, Ministre de l'Intérieur (Doc. Wikipédia) ===>

Il en fut presque ainsi de chaque voiture, dans lesquelles chacun reconnaît une haute personnalité politique. MM. Bussière, sénateur, et Doussaud, député, sont l'objet d'une ovation particulière. A midi, le long défilé de voitures automobiles était terminé. Beaucoup de personnes s'avancent alors auprès de MM. Lascaux, maire, pour le féliciter de son beau discours. La foule s'écoule enfin, vivement impressionnée par la visite présidentielle.

La traversée de Varetz

En route pour Brive par Varetz, qui s'est gentiment paré. Devant Castel-Novel,

trophée de verdure et, dans l'encadrement de l'allée qui conduit au château, Mme et M. Henry de Jouvenel, Mme la baronne
Raoul de Jouvenel mère, qui répondent aimablement aux saluts que leur envoient les touristes à leur passage. Foule énorme sur la route.

Tous les habitants de la commune de Saint-Viance sont là avec des drapeaux qu'ils agitent, pendant que des tambours battent aux champs.

En avançant vers Brive, la foule se fait plus dense. Bientôt nous voici aux portes de la plus belle, de la plus gaie, de la plus accueillante des villes. L'enthousiasme indescriptible de la foule, à l'arrivée du cortège, fait oublier l'immense nuage de poussière dans lequel nous voyageons depuis Objat.

 <===  Mr Henry De Jouvenel, promoteur de la venue de Mr Poincaré en Limousin



 
"BONUS"

UNE AUTRE VISION DU VOYAGE PRÉSIDENTIEL

Au sujet du passage du cortège présidentiel aux Noilhettes que nous évoquons en début de page, voici le compte-rendu que nous en avons trouvé aux Archives municipales de Brive, sur un petit morceau de papier dactylographié, mais non signé (cote 41S49) :

"Les maires de Saint-Jal et Lagraulière, ceints de leurs écharpes attendaient donc au carrefour en compagnie d'environ cent personnes en sabots, tous des paysans et paysannes qui avaient omis de s'endimancher. Le temps était magnifique, mais le cortège composé d'un grand nombre de voitures avait du retard. Parmi les spectateurs, une grande majorité d'enfants vêtus misérablement, des bergers et bergères qui ont abandonné leurs troupeaux d'ovins.
Enfin les voitures apparaissent au lieu-dit La Barraque, et on les apercevra assez longtemps dans cette longue ligne droite venant vers le carrefour. Et cependant, lorsqu'elles arriveront à la hauteur des spectateurs, tous seront déçus, et nul en définitive ne pourra préciser dans quelle voiture se trouvait le Président. Une odeur nauséabonde de pétrole emplit l'atmosphère. Grands et petits ne s'attardent même pas à accompagner du regard le cortège qui s'en va en direction de Seilhac
[????].
L'impression générale est moins prenante que celle provoquée par Delpeuch
[un élu du département] qui avait ralenti, salué la foule sans protocole, et surtout dont le véhicule resterait pour tous la première voiture sans chevaux vue au carrefour des Noilhettes".



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