- Récit : digressions à partir d'une tombe abandonnée à Chirac-Bellevue



Des recherches à caractère généalogique, vaines d'ailleurs, m'ont mené il y a quelques années au cimetière de Chirac-Bellevue. C'est là que je me suis intéressé à une tombe abandonnée, celle de l'abbé de Tournemine, qui fut curé de la paroisse à partir de 1872.

J'ai par la suite à nouveau croisé ce personnage à plusieurs reprises, dans les vieux papiers de la période post-révolutionnaire conservés aux archives départementales de la Corrèze.

Je vous invite à me suivre dans de larges digressions, autour de bribes de sa vie.


Quand on entre dans le cimetière de Chirac, sa tombe se trouve presque en face, sur la gauche, tout au fond, dans un recoin. Aucune allée ne la dessert directement. Une grille, autrefois recouverte de peinture blanche ou argentée, l'entoure. Les herbes folles l'envahissent. Les inscriptions sur la pierre tombale sont presque entièrement effacées. Et pourtant en faisant un effort, on arrive à les lire.


(Doc. JPC)

Antoine-Adolphe de Tournemine est né à Ussel le 3 décembre 1809, de Joseph de Tournemire et Pétronille Ouzoulias.

Son père Joseph apparaît d'abord dans les actes d'état-civil comme propriétaire demeurant à Ussel, puis avec la même qualité à Culines, un petit hameau de Chirac. Joseph descendait de cette longue lignée d'anciens aristocrates installés à Culines, qui sous le patronyme de De Tournemire, ou Tournemire, exploitaient une vaste propriété près du chef-lieu de la commune. L'un d'entre eux, prénommé Antoine, celui qui est né en 1747, apparaît sur certains actes rédigés vers 1795 comme Maire de Culines ! La branche des Tournemire de Culines était liée à la branche de Sarroux, qui à la suite de transactions, mariages et héritages s'installera durablement au château de Pierrefitte.

Antoine-Adolphe avait choisi de porter le patronyme de « de Tournemine », comme à cette époque là, de nombreux cousins éloignés de la branche de Pierrefitte.

Le « Registre des prêtres en exercice de 1760 à 1872 » consultable aux archives départementales de la Corrèze, nous donne à son sujet les renseignements suivants :

  • sous diacre le 13 décembre 1830, ordonné prêtre le 16 Juin 1832;

  • nommé vicaire à Egletons le 1° Juillet 1832;

  • nommé Curé de Saint Yrieix le 15 février 1835, de Rosiers d'Egletons le 15 juin 1836, et de Saint Sétiers le 23 novembre 1847, jusqu'en Juillet 1872.

  • Il fut ensuite nommé Curé de Chirac, en Avril 1872, et installé dans cette paroisse en Juillet.

  • C'est là qu'il est décédé le 6 avril 1877, à l'âge de 67 ans. La déclaration de décès en mairie a été faite par Guillaume Aigueperse, 58 ans, sacristain, et Pierre Bouloux, 24 ans, demeurant tous deux au bourg de Chirac.


On retrouve trace de lui dans plusieurs documents. Son frère Joseph et sa sœur Marie-Jeanne y apparaissent aussi. Ces documents sont les suivants.

* La « Liste générale des pensionnaires de l'ancienne liste civile avec indication sommaire des motifs de concession de la pension, dressée en exécution de la loi du 23 décembre 1831 ». Imprimée en 1833 par l'Imprimerie Royale, elle recense sur 490 pages les 11 953 individus qui depuis la loi du 28 avril 1825 dite « Loi du Milliard aux Émigrés », bénéficiaient d'une pension de l'Etat. Votée à l'époque de la Restauration, sous Charles X, alors que Villèle était Président du Conseil, elle avait pour but de rassurer les acquéreurs de biens nationaux en confirmant leurs droits. Il s'agissait alors d'indemniser les victimes de la Révolution, et ceux qui avaient été spoliés de leurs biens, en leur accordant une rente au taux de 3 %. Inspirée par un esprit d'apaisement, elle fut très contestée.

* L' « État pour servir au paiement du secours accordé aux pensionnaires de l'ancienne liste civile résidant dans le département », état départemental établi sous Louis Philippe, en exécution de la loi du 8 avril 1834.


Il en ressort qu'Antoine-Adolphe, Joseph et Marie-Jeanne avaient perçu un secours de 37,50 francs, et bénéficiaient, à titre de réparation, d'une rente annuelle de 150 francs, en leur qualité de « neveu d'émigré persécuté », pendant la Révolution.

L'oncle concerné était un Tournemire, qualifié de « Noble », prêtre, qui avait exercé son Ministère dans le Cantal, dont le prénom n'est pas précisé, et qui avait émigré. Il est répertorié dans la « Liste générale des émigrés de toute la République (dressée en exécution de l'article 16 de la loi du 28 mars 1792, et de l'article premier de celle du 25 juillet de la même année, première de la République Française) ». Les renseignements complémentaires fournis à son sujet sont plutôt incomplets. Qu'on en juge :

  • dernier domicile connu : département du Cantal, district de Leumont en Limousin. De nombreux lieux-dits "Le Mont" existent dans le Cantal, et nous n'avons aucun élément permettant d'en privilégier un par rapport aux autres, pour localiser ce domicile. Peut-être aussi s'agirait-il de « Le Mont », paroisse de Saint-Etienne-aux-Clos en Corrèze, où une branche de la famille était installée ??

  • situation des biens : département du Cantal, district de Mauriac, Municipalité de Trezac. Il s'agit vraisemblablement de la commune de Trizac, à une vingtaine de kilomètres de Mauriac.

  • date des arrêtés qui ont constaté l'émigration : 26 juillet 1792.


Mais revenons aux trois neveux bénéficiaires de la rente. Ces libéralités ne devaient en fait être accordées qu'aux plus nécessiteux des pensionnaires de l'ancienne liste civile, ceux qui étaient considérés comme indigents, et pour lesquels le maire de leur commune de résidence avait établi un « certificat d'indigence ». L'État prescrira une vérification aux droits des bénéficiaires qui sera faite sous forme d'enquêtes confidentielles que les archives départementales ont conservé.

Pour nos trois Tournemine (mire), les documents sont datés du 12 août 1833. Ils se présentent sous forme de questions-réponses, les questions étant posées par la préfecture et les réponses données par un enquêteur dont l'identité n'est pas précisée.

Pour Joseph apparaissent au fil des questions les renseignements suivants :
"N'a pas quatre cents francs de fortune en capital. Je n'ai pu connaître au juste le montant des contributions payées, mais Mr le Maire m'assure qu'il ne s'élève pas à 3 francs". "Est-il malheureux et digne sous ce rapport de la commisération publique ?". La réponse est "Oui". "Sa pension lui est-elle nécessaire ?" Réponse : "très certainement". "Est-il le frère d'Antoine et de Marie-Jeanne de Tournemine, autres pensionnaires ?"  Réponse : "Oui".

En ce qui concerne Marie-Jeanne, les renseignements fournis sont les suivants :
"Sans fortune. N'a pas 400 francs de capital". "Sa pension est-elle Nécessaire ?" Réponse : "Oui". "Est elle malheureuse ... ?" "Oui". "Est-elle la sœur d'Antoine et de Joseph ?" "Oui".

Pour Antoine, on note les éléments suivants :
"Vicaire à Egletons. D'après nouveaux renseignements fournis par Mr le Maire d'Ussel qui ignorait sa position et avait accordé à tort un certificat d'indigence, ses opinions sont loin d'être favorables au Gouvernement de Juillet, mais il ne s'est pas compromis par des actes hostiles. On pourrait s'en informer auprès du Maire d'Egletons". Et, à la question posée : "sa pension de 150 francs lui est-elle en tout ou partie nécessaire", le rédacteur indique clairement : "Je ne le pense pas". 


Il est vraisemblable qu'avec un tel rapport notre futur Curé de Chirac n'a pas dû conserver sa rente bien longtemps.


Les enquêtes sur son compte n'auront d’ailleurs jamais été favorables, pour Antoine-Adophe de Tournemine.

Alors qu'il n'était encore que curé de Saint Sétiers, quelqu'un avait eu la bonne idée de demander pour lui la Légion d'Honneur. Le 23 juin 1858, le ministre de l'Instruction publique et des Cultes avait donc prescrit une enquête confidentielle, afin de recueillir du Préfet son avis "sur les titres que cet ecclésiastique peut avoir à cette distinction, ainsi qu'à la bienveillance du gouvernement de l'Empereur". Le brouillon de la réponse du Préfet figure aux archives départementales de la Corrèze sous la cote 1M 134.

"Mr l'abbé de Tournemine desservant Saint Sétiers [...] est un brave et digne prêtre dont la conduite a toujours été parfaite et auquel on n'a jamais eu à adresser de reproche.

Cependant je dois vous dire que Monseigneur l’Évêque de Tulle n'a pas encore jugé à propos de le nommer curé de canton.

Je ne connais dans la carrière de Mr l'abbé de Tournemine aucun fait particulier qui mérite d'être cité, aucun de ces services exceptionnels qu'il est quelquefois donné aux prêtres de pouvoir rendre. La distinction qu'on demande pour Mr l'abbé de Tournemine pourrait être accueillie avec faveur dans sa petite paroisse, mais elle causerait un certain étonnement parmi les prêtres du diocèse qui ne manqueraient pas de l'attribuer à la faveur et à la haute influence de certains membres de sa famille".

Personne ne sera surpris de savoir que le dossier sera classé sans suite.


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Ce texte a été publié par ailleurs, dans le tome 134 de l'année 2012 (diffusé en juin 2013) du bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze.


Jean-Paul Cueille


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