LE CONTEXTE : Voilà un sujet qu'il n'était pas facile de programmer sur notre site, tant il renvoie à des moments douloureux de notre Histoire nationale, à des divisions profondes entre les français, divisions qui ont subsisté pendant des décennies, et qui doivent peut-être avoir laissé des traces de nos jours. Avant de nous lancer, nous avons pris l'avis éclairé de quelques érudits qui fréquentent les Archives départementales de la Corrèze de manière assidue. Nos sources sont diverses, vous le verrez. Mais c'est essentiellement aux Archives départementales que nous avons trouvé, de cet événement, presque toutes les photographies que nous allons vous proposer. Les publications d'époque y sont nombreuses aussi, parfois sous forme d'extraits. Quelles que soient leur origine elles ont un point commun : toutes portent le Maréchal aux nues. Naïvement, pour équilibrer notre sujet, nous avons essayé de trouver des journaux un brin contestataires, ou qui exprimeraient quelques réserves sur la politique menée par le Chef de l’État : Rien, absolument rien ! On nous a expliqué qu'à l'époque tous les journaux étaient sous contrôle. Ils ne pouvaient que publier les communiqués et compte-rendus officiels, ou bien encore des récits autorisés par les services de L’État, et tout dérapage était synonyme d'interdiction immédiate de parution. Un des principaux documents trouvés à Tulle, qui nous a servi pour préparer ce sujet, est la Revue trimestrielle "Corrèze" éditée à cette époque toute à la gloire du Maréchal. On ne sait pourquoi, ce sont les Archives départementales de l'époque qui se chargeaient de sa rédaction et de son administration. Son numéro spécial de Juin-Juillet et Août, le numéro 5 de la série, est entièrement consacré à la visite rapide que fit le Chef de L’État dans notre département, les mardi 7 et mercredi 8 juillet 1942. Ce document peut aussi être consulté directement sur gallica.bnf.fr La couverture du numéro de Juin-Juillet-Août 1942
de la revue Corrèze. Le Maréchal est alors âgé de 87 ans. (AD19 - cote 550 W 114) ===>
L'hebdomadaire "La Croix de la Corrèze" publiera lui-aussi à cette occasion un numéro spécial retraçant cette visite en détail, avec de nombreuses photographies. Nous avons aussi consulté les compte-rendus publiés par le Courrier du Centre, la Petite Gironde, la Dépêche, la France de Bordeaux et du Sud-Ouest, Paris-Soir, le Journal des Débats politiques et littéraires, ... Notons que c'est le photographe briviste Jean-Baptiste Beynié, seul, qui avait été accrédité pour prendre les photos pour l'ensemble des organes de presse locaux. La visite à Brive ne durera en fait que deux heures, au pas de course, avec un emploi du temps très chargé. Le Chef de l’État avait auparavant fait halte à (La Courtine), Ussel et à Tulle, où il avait pris le train pour Brive.
Pour l'essentiel de ce compte-rendu, nous avons choisi de reprendre l'article à la fois concis, précis et narratif qui a été publié par le quotidien Paris-Soir, dans sa 6° édition du 10 juillet 1942. Nous l'avons consulté aux Archives départementales. Nous termineront toutefois par un extrait de la revue "Corrèze", beaucoup plus diserte.
"A 18 heures précises, les cloches de Saint-Martin et de Saint-Sernin de Brive sonnent à toutes volées, tandis que, lentement le convoi entre en gare. Le hall est magnifiquement décoré de plantes vertes, de tapis rouges, tandis que des draperies tricolores descendent d'en haut. La musique et une compagnie du 41°, avec le vieux drapeau du 126°, dont la garde lui a été confiée, rendent les honneurs.
Une ovation monte vers le Maréchal qui reçoit une superbe gerbe de fleurs des mains de deux enfants portant costume limousin accompagnés de Melle Simonet, Présidente des Pastourelles limousines.
<=== L'arrivée du Maréchal en gare. A sa gauche, le maire de Brive, Louis Miginiac (Doc. La Croix de la Corrèze)
Sur le parvis, avec le Terminus en arrière plan, des fleurs
lui sont offertes (Doc. Revue "Corrèze") ===>
Dés son arrivée à Brive, le Maréchal reçoit les honneurs
(Doc. Revue "Corrèze")
Il prend place dans sa voiture découverte. A l'entrée de l'avenue de la Gare, un arc en travers de la voie publique dit : "Le riant portail du Midi vous est grand ouvert" [traduction du patois]. Sur un autre on lit "Le temps de la critique est passé. Maintenant, suis ton chef !" Un peu plus loin, sur un arc de triomphe de verdure, dont les portiques sont garnis d'une pyramide d'enfants costumés en bleu, blanc, rouge, une grande inscription : "Pétain ! France !".
Le Maréchal monte dans la voiture officielle qui l'attend au pied du grand escalier de la gare et entame sa traversée de Brive. (Doc. Revue "Corrèze")
Continuant sa route vers le boulevard du Palais, le boulevard Puyblanc, le cortège parvient au monument aux Morts qui se dresse devant le square Édouard Branly. Le Maréchal descend de voiture et dépose une gerbe, s'incline une minute, tandis que retentit la sonnerie "Aux Morts", puis regagne sa voiture après s'être entretenu pendant quelques instants avec M. Aymar de Foucault un amputé du bras de la dernière guerre.
(Doc. delcampe.net)
Les rues sont pavoisées à profusion. Ussel, Tulle, Brive ont décidé de disputer un match d'enthousiasme dont on serait bien en peine de dire quelle ville en est sortie victorieuse. Ici des vitrines entières sont peintes à la main de motifs tricolores encadrant presque toujours le portrait du Maréchal. La foule, difficilement contenue par le service d'ordre déborde de fierté et de confiance. Elle crie sa joie, clame sa ferveur.
(AD 19 - supplément à La Croix n° 2549 du 12-7-1942)
Une foule enthousiaste et des policiers débordés (Doc. Revue "Corrèze")
Vues générales de la foule (Doc. AD 19 - cote 550 W 114)
Lorsque le Maréchal monte à la tribune érigée sous les frondaisons séculaires de la place de la Guierle, il a toutes les peines du monde, du geste et de la voix à faire cesser les chants qui montent vers lui. Quand d'un côté de la haie les anciens combattants ont fini d'entonner "La Marseillaise", de l'autre côté Scouts, Compagnons de France, qui ont dressé leurs tentes sur la place, infirmières, tout de blanc vêtues, jeunes dominicains portant les décorations de la dernière guerre, ne veulent pas s'arrêter : "Maréchal nous voilà". Un peu de calme revient tout de même.
M. Louis Miginiac, maire de Brive, auprès duquel se tiennent MM. Dautresme, sous-préfet de Brive, et Escande, chef départemental de la Légion, prend la parole :
"Votre visite, Monsieur le Maréchal, dit-il en commençant, était espérée depuis longtemps..."
Puis, plus loin :
"Comment perdre de vue l’œuvre immense et grandiose que vous poursuivez depuis deux ans."
Enfin ;
"Vous avez raison de répéter sans cesse avec insistance que le pays ne doit pas s'abandonner, que son magnifique passé est garant de son avenir et que l'espoir du relèvement deviendra une certitude si les français enfin réconciliés savent se grouper et s'unir derrière le chef qui les conduit".
Vues générales de la foule sur la Guierle (Doc. AD19 - cote 550 W 114)
La péroraison du maire de Brive est un nouveau motif aux acclamations envers le Chef de l’État. Celui-ci, s'approchant du micro, annonce :
"Avant toute chose, je vais transmettre à l'union départementale de la Légion, son drapeau".
Développant l'emblème tricolore, le Maréchal remet alors entre les mains de M. Escande, chef départemental, le drapeau qui servira d'emblème aux Légionnaires corréziens. Et tandis que retentissent les accents de La Marseillaise, le président transmet le drapeau à la garde d'honneur. Le porte drapeau est M. Mézaud, un glorieux officier des deux guerres. [...]
Lorsque les chants se taisent, le Maréchal reprend :
"Mes amis, merci de tout cœur de votre confiance. Faites dans le travail l'union que je ne cesse de prêcher."
Puis sur l'estrade, durant un long moment, femmes, hommes, enfants se succèdent portant au Chef de l’État les offrandes qu'il accueille avec sa simplicité coutumière : des fruits, des galoches, qu'il montre au public, des cabas, des conserves, une superbe pochette pour documents, un tonnelet, œuvre d'artisans brivistes, un tableau du vieux Brive, œuvre de Jean Marjorit, président de la section des Beaux-Arts du Bas Limousin, et tant de choses encore.
"Vous m'en donnez tant, dit-il en riant, que le camion que j'avais prévu sera trop petit et je n'ai pas d'essence".
Mais voici que s'avancent deux jeunes garçons, en culotte courte, vêtus de bleu, portant à bras tendus, un sabre.
Le Maréchal va vers eux, appelle une femme qui, modestement se tient à l'écart.
Pierre et Jean de Bournazel, les enfants du capitaine Henry de Bournazel, rejoints par leur mère, offrent au Maréchal l'épée de leur père (Doc. Revue "Corrèze").
Puis il s'approche du micro et sans cacher son émotion déclare :
"Ces enfants et leur mère m'apportent le sabre du capitaine de Bournazel, leur père. Il va sans dire que ce sabre reste à ses fils. Il leur appartient, mais ce geste me touche profondément".
Et la foule confond dans les mêmes applaudissements le héros auquel le burnous légendaire avait valu le surnom de "cavalier rouge" et celui de Verdun.
[ndlr : on pourra lire une biographie du capitaine de Bournazel, dont la famille est originaire de Seilhac et Saint-Jal (19), ici : CLICK , mais également sur Wikipédia.]
De nouveau le Maréchal prend la parole : "Ce ne sont pas de simples cadeaux que vous m'avez offerts. J'ai senti dans chacun votre cœur. Je retourne à ma tâche, plus confiant que jamais. Je vais travailler du plus grand cœur pour vous et pour la France."
Cette partie de la visite n'a été évoquée qu'en 4 mots par Nicolas Mouneu, l'envoyé spécial à Brive du journal Paris-Soir. Elle est beaucoup plus détaillée dans d'autres titres et surtout on en trouve de nombreuses photographies. En voici quelques-unes.
Avec les légionnaires (AD 19 - cote 550 W 114)
Avec des mutilés et des anciens combattants de la Grande Guerre (AD 19 - Cote 550 W 114)
Le Maréchal quitte la Guierle (Doc. AD 19 - Supplément à La Croix n° 2549 du 12-7-1942)
C'est maintenant dans la revue "Corrèze"que nous avons puisé le compte-rendu des dernières minutes de la visite du Maréchal à Brive. Le récit est fait par le Maire de la ville, Louis Miginiac.
"Lorsque le Chef de l’État se retire, M. Leroy-Ladurie, Ministre de l'Agriculture et du Ravitaillement veut bien m'inviter en ma qualité de Maire de la Ville, à prendre place avec lui dans la voiture du Maréchal. La voiture découverte qui avait amené le Chef de l’État étant indisponible pour quelques instants, le Maréchal prend place dans une voiture fermée qui se dirige vers la sous-préfecture. A peine la voiture s'est-elle engagée sur le boulevard du Salan, que le Maréchal s'étonne de l'affluence des piétons qui se pressent sur les larges trottoirs : "mais votre ville a deux-cent-mille habitants", me dit-il.
A l'Hôtel de la sous-préfecture, le Maréchal prend une demi-heure de repos, au cours de laquelle il s'entretient avec le Sous-Préfet et son entourage, accueille avec bienveillance quelques personnes admises à lui être présentées, et se déclare profondément touché de la réception qui lui est faite par la population.
Un peu avant 20 heures, le signal du départ est donné. Le Maréchal remonte dans sa voiture découverte à l'arrière de laquelle s'accumulent des gerbes de glaïeuls. Dès que la voiture a pris le tournant du boulevard Jules Ferry, les acclamations jaillissent de toutes parts. Elles ne cesseront pas jusqu'à la gare.
La foule qui a eu le temps de dégager la place de la Guierle est venue s'amasser dans les voies que doit suivre le cortège, rue docteur Massénat, place et rue de l'Hôtel de ville, avenue de la Gare. [...]
La foule sur le trajet du Chef de l’État en direction de la gare.
Ici, sur la place de l’Hôtel de Ville et devant Saint-Martin
(Doc. AD 19 - cote 550 W 114)
Le Maréchal toujours debout salue sans arrêt. Étant assis à sa gauche, je suis bien placé pour observer les mille physionomies de la foule. A l'approche du Maréchal, il n'est pas un spectateur qui reste passif et immobile. On voit les visages se détendre, brusquement s'éclairer et l'enthousiasme se manifester, mieux encore que par les vivats, par l'expression ardente des regards où se lisent les grands sentiments de reconnaissance, d'admiration, je dirai presque de tendresse qui remuent les âmes dans leurs tréfonds."
A 20 heures, le Maréchal monte dans le train spécial qui va l'amener à Vichy, avec un premier arrêt technique à Limoges. Il arrivera à destination le lendemain à 9 H 30.
Et pour terminer voici un document qui nous a été offert par C. T., un de nos contributeurs fidèles. Certes il aurait dû apparaître plus tôt dans notre chronologie. Il a été conservé par sa famille depuis cette époque. Il s'agit d'un cliché de la manifestation de la place du XIV Juillet, pris depuis leur balcon. Il a la particularité d'être historique, mais en très mauvais état. Il a été retravaillé de façon admirable par notre complice M. V. Vous allez donc pouvoir apprécier à la fois l'intérêt du document de C.T. et le travail de restauration réalisé par M. V.
La même retravaillée par M. V.
JUILLET 1942 : SUPPLÉMENT DE VIN
Cliquez sur l'image pour la rendre lisible.
(extrait du journal Le Corrézien n° 185 du 6 juillet 1942 - AD 19 cote 8 Pr 108)
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(18 septembre 2020) |