- retour sur le ballon Sirius, le capitaine Besançon et le photographe briviste Beynié (ensemble ou séparément)

C'est en troisième partie du site, dans la page intitulée "L'ascension de ballons montés, à partir du sol briviste", que nous vous avons déjà longuement présenté le ballon Le Sirius, son capitaine, Georges Besançon et le photographe briviste Jean-Baptiste Beynié. C'était en mars 2020, ici : CLICK.

Un atterrissage du Sirius (Doc. L'Aérophile de 1894 p. 206/gallica.bnf.fr)

Aujourd'hui nous poursuivons la suite de leurs aventures, bien qu'elles ne se soient pas déroulées à Brive, et bien que tous les trois ne les aient pas toujours affrontées ensemble.

Le Sirius continuait à participer à l'animation de fêtes locales, un peu partout en France, et, à bord, les aéronautes poursuivaient leurs recherches à caractère scientifique.

Nous sommes au Havre, en juillet 1892. Le point de départ de la dramatique expédition que nous allons vous raconter dans un instant a été le Casino Marie-Christine. C'était à l'origine une salle de jeux et de spectacles, construite en bois en 1882 en bordure de mer; il présentait régulièrement concerts, opérettes, théâtre, attractions diverses, ... C'est le Casino qui avait organisé le dimanche 10 juillet en cours d'après-midi une première ascension, avec le concours d'un aéronaute expérimenté M. Porlié, qui, à ce moment là était dépourvu de ballon. Il emprunta donc le Sirius à son propriétaire, Georges Besançon. A cette occasion le Sirius fut momentanément débaptisé : il devenait le Jupiter. Malgré les nombreuses expéditions qu'il avait faites il était considéré comme un des plus beaux ballons actuellement en service.
Pour ce spectacle, M. Porlié avait traité avec l'administration du Casino absolument comme un artiste qui doit remplir son programme d'un bout à l'autre.

Notre compte-rendu a été établi à partir de plusieurs journaux, l'ensemble de la presse française ayant rendu compte des dramatiques événements qui vont suivre. Parmi eux Le Rappel du 20 Juillet sera notre source principale, mais aussi, de la même période, La Presse, La Croix (le quotidien national et non l'hebdomadaire départemental), Le Petit Journal, La Revue des Sports, et bien d'autres, tous consultés sur gallica.bnf.fr .

Pour cette première ascension, Georges Besançon n'était pas à bord, et c'est M. Porlié qui assurait la fonction de Capitaine, avec plusieurs passagers : des aéronautes, Messieurs Hermitte et Demayer (ou Demeyer, selon les titres), un journaliste, et .... un acrobate, "l'indien Citting-Bull", qui fit quelques tours de trapèze au moment où le ballon s'éleva dans les airs.
L'aérostat prit aussitôt la direction de la mer, allant du coté de Trouville. Il fit ainsi quelques kilomètres, puis ayant rencontré un courant qui le ramenait vers la terre, il vint descendre à Sandouville, petit village situé à une vingtaine de kilomètres du Havre. L'ascension avait duré quarante minutes à peine. Enchantés d'un tel succès, une seconde ascension fut décidée par les responsables : on n'hésita pas à afficher pour le lendemain 11 juillet, une ascension en nocturne, avec M. Porlié toujours Capitaine, assisté de Messieurs Besançon et Demayer.

Les aéronautes du Jupiter, d'après La Croix du 20-07-1892

"Les sémaphores signalaient une forte brise sud-ouest et une grande baisse barométrique. Les ballons-pilotes se dirigeaient vers Cabourg, mais ne s'élevaient qu'à une cinquantaine de mètres. Il était certain que le courant supérieur poussait vers la pleine mer en rasant le cap de la Hève. A neuf heures du soir, la foule envahit la plage du Havre et suit avec anxiété les manœuvres. Les trois aéronautes achèvent un frugal repas en compagnie de leurs amis. Ils paraissent très émus et ne cessent de répéter : "Nous allons dans le bouillon, en plein dans la limonade". [...] Il est neuf heures et demi, les manœuvres contrariées par le vent et faiblement éclairées par l'électricité deviennent excessivement pénibles, les aéronautes contrairement à leur habitude serrent la main de tous leurs amis et font parvenir de l'argent à leurs fournisseurs, comme s'ils avaient le pressenti de courir à la mort. M. Demayer s'installe dans la nacelle et arrime les cordages, il ne parle plus du tout. M. Porlié dit un mot à l'oreille de M. Besançon, et tous deux montent dans le panier. M. Porlié se hisse sur le bord de la nacelle et s'adresse à la foule : " Messieurs, veuillez excuser mon léger retard, mais le vent et les circonstances rendent le départ très difficile". La voix tremblotante de cet homme qui a accompli un nombre incalculable d'ascensions produit une vive impression sur la foule et un frémissement parcourt le public.

Le ballon oscille d'une manière effrayante; on retire quelques sacs de lest et le départ se fait avec 2 kilos de force ascensionnelle. Le Jupiter dépasse les mâts d'entrée du jardin. M. Porlié allume quelques fusées sous la nacelle à l'aide d'une mèche d'amadou. M. Besançon vide un demi-sac de sable sur la foule terrorisée. Le vent fait osciller très fortement la nacelle."

Et, dans la nuit noire et la tempête, le ballon disparait aux yeux des spectateurs. L'inquiétude ne cesse de monter dans la foule.

"Les personnes dévotes voyant le ballon partir du Havre vers la mer, et faire des signaux de détresse
vont prier toute la nuit à la chapelle de Sainte-Adresse".
(Extrait de La Croix du 20-7-1892)

Quelques jours plus tard les nouvelles les plus dramatiques étaient publiées dans la presse : si le Jupiter a bien été retrouvé en Angleterre, il n'y a aucune trace des trois aéronautes ! Un même communiqué pessimiste est publié dans l’Écho de Lyon (à gauche), dans l'Express du Midi (à droite) et dans de nombreux autres titres.



(documents consultés sur
gallica.bnf.fr)






C'est dans Le Petit Parisien n° 5742 daté du 17 juillet 1892 que nous avons trouvé la bonne nouvelle : les trois aéronautes ont été retrouvés en mer, sains et saufs, et recueillis par un navire allemand :


Ultérieurement, c'est Georges Besançon lui-même qui fera le compte-rendu de cette dramatique ascension en répondant aux questions de la presse. Ses propos ont été publiés dans plusieurs titres. Nous les avons quant à nous repris dans Le Rappel n° 8167 du 20 juillet. 

"Dès que nous fûmes partis du Casino du Havre, dit-il, le ballon, poussé par un vent violent se dirigea vers la mer. J'ouvris aussitôt la soupape, cherchant à atterrir le plus vite possible. Nous dûmes arracher le cône-ancre au bout d'une corde de 80 mètres de longueur, environ, à défaut de grelin spécial. Malheureusement, la bourrasque qui était épouvantable cassa la corde. Dès lors, nous ne fûmes plus maîtres de la direction de l'aérostat. Celui-ci faisait des bonds prodigieux, menaçant à chaque instant de nous jeter par dessus bord. Au bout d'une demi-heure, soit vers 10 heures du soir, nous commençâmes à trainer dans l'eau. La mer était déchaînée, le vent très violent.

On a raconté, nous dit l'aéronaute, que nous avions projeté des feux blancs : c'est inexact. Quand nous vîmes quels dangers nous courrions, nous lançâmes une fusée rouge pour indiquer la situation critique dans laquelle nous nous trouvions.

C'est à partir de ce moment que commencèrent véritablement nos angoisses. Nous entendions très distinctement par instant les voix des matelots montant des barques de pêche qui passaient non loin de nous, mais la nuit était si noire, que malgré nos cris de détresse, nos appels désespérés, aucun secours ne nous parvenait.
Enfin, vers trois heures du matin, l'aérostat s'est relevé à plus de deux mille mètres d'altitude. Nous nous crûmes sauvés. Si nous pouvions trouver un bon courant nous menant vers la terre, c'était le salut.
Hélas, cet espoir ne devait pas être de bien longue durée. Vers cinq heures du matin, notre ballon traînait de nouveau.
"Les trois aéronautes passent la nuit entre la vie et la mort; M. Demayer est dans la nacelle
et plonge pour y chercher du lest" (Extrait de La Croix du 19-07-1892),
tandis que Porlié et Besançon sont suspendus dans les cordages.

Nous étions exténués, à bout de force. Nous avions jeté tout notre lest. Nos vêtements eux-mêmes avaient, pour la plupart, été jetés par dessus bord, afin d'alléger la nacelle.
Je commençais à souffrir d'un rhumatisme au bras. Demayer avait perdu l'usage de la parole. Notre situation était des plus critiques. Transis de froid, à demi-morts de fatigue, absolument découragés, nous voguions au gré des flots et du vent, quand soudain j'aperçus au loin une voile et la mâture d'un navire. C'était le salut pour nous.

Rassemblant alors tout ce qui nous restait de force et de courage, nous fîmes les signaux de détresse. Nous étions tous en proie à une angoisse inexprimable. Serions-nous aperçus de ce navire qui voguait si loin de nous ? Viendrait-il nous porter secours ?
Cependant le bâtiment avait mis le cap sur l'aérostat. Nous ne nous trompions point, il semblait se diriger vers nous. En effet, au bout d'un quart d'heure environ, le navire allemand la Germania, mettait une chaloupe à la mer. Montée par quatre vaillants et robustes matelots, la frêle embarcation se dirigea vers nous. Ce n'est pas sans difficultés toutefois que nous réussîmes à monter. La mer était si mauvaise et le vent si violent que les bonds que faisait le ballon nous éloignaient souvent du bateau sauveur au moment où il allait pouvoir nous recueillir. Enfin, des bras nerveux nous saisissent, nous voici tous les trois dans la chaloupe qui, à force de rames, se dirige rapidement vers la Germania, tandis que le Jupiter, subitement délesté du poids de ses passagers, s'enlève rapidement à une très grande hauteur. Bientôt après, notre ballon, qui mesurait 1 300 mètres cubes, avait disparu à l'horizon, dans la direction du nord-est.

M. Besançon rend hommage aux soins intelligents et dévoués qui ont été prodigués à ses camarades et à lui par le personnel du bord de la Germania. C'était à qui nous frictionnerait pour nous réchauffer et nous prêterait des vêtements pour remplacer ceux tout mouillés qui nous restaient.

Georges Besançon, photographié ici en 1934.
(Doc. L'Aérophile de 1934/gallica.bnf.fr)

A midi, le sloop Reine des Anges, capitaine Le Ploart, allant à La Rochelle, nous ayant croisés, nous embarquâmes à son bord. Il nous conduisit à Camaret où nous débarquâmes samedi à deux heures et demi de l'après-midi. La municipalité de cette petite commune nous a fait une réception des plus cordiales. Elle n'a voulu nous laisser payer aucune de nos dépenses et nous a offert un punch avant notre départ.
Dimanche matin, nous avons frété un petit bateau pour nous transporter à Brest d'où nous sommes repartis à deux heures de l’après-midi pour Paris où nous arrivâmes à quatre heures du matin.

M. Besançon et ses camarades ont retrouvé leur gaité habituelle. Tous les trois portent sur le corps les traces de nombreuses ecchymoses et d'écorchures produites par les chocs de la nacelle, qu'ils ont eu à subir.
Après une partie de la journée passée dans leurs familles, les aéronautes ont repris le train pour Le Havre, où une réception leur était préparée pour la soirée."

Quant au Jupiter/Sirius, il avait été retrouvé le 12 juillet à 7 heures au village de Keevil, près de Devizes, en Angleterre. C'est Le Journal des Sports qui donne la précision dans son édition du 12 juillet. L'information sera complétée dans La Liberté du 4 août 1892 :



Nous sommes maintenant en 1893. La revue l'Aérophile, qui vient d'être créée (bien sûr consultée sur gallica.bnf.fr) raconte à partir de sa page 193 :

"Le 22 octobre, une double ascension avait lieu à l'usine à gaz de La Villette [à Paris, NDLR] : l'Archimède conduit par notre directeur M. Georges Besançon, accompagné de sa dame et de M. J.-B. Beynié, photographe à Brive, s'élevait à 1 h. 15 du soir.
Un quart d'heure après, l'Argus dirigé par notre collaborateur Gustave Hermitte, prenait le même chemin que l'Archimède, le suivant à une distance de près de 4 kilomètres. A 2 h. 21 l'Archimède descendait au-dessus de Noisy-le-Grand et se mettait au guide-rope, ralentissant ainsi sa marche, afin de permettre à l'Argus de se rapprocher. Cette manœuvre réussit très bien, car au bout d'un quart d'heure, M. Besançon, reprenant son allure primitive, se trouvait à 900 mètres seulement de son collègue, avec lequel il échangeait quelques mots, et les aéronautes photographiaient réciproquement les ballons qui les portaient.

A 3 h. 35 M. Besançon recommençait sa manœuvre et à nouveau l'Archimède se mettait au guide-rope, au-dessus de la forêt d'Armainvilliers. Quelques secondes après, à Ozouer-la-Ferrière, M. Hermitte qui durant son voyage a toujours conservé une altitude de 700 à 750 mètres, rattrapait et dépassait bientôt son collègue, et après avoir traversé la forêt, opérait sa descente dans Gretz, au milieu d'une propriété, à 4 h. 12.
L'Archimède ayant repris le plein air, assistait à l'atterrissage de l'Argus, et à son tour passait-au-dessus de lui  pour prendre terre, 1500 mètres plus loin, à 4 h. 25, près de la gare de Tournan-en-Brie (Seine et Marne)."

Voilà donc une course-poursuite qui se termine bien, une véritable partie de plaisir. On peut penser que Mr Beynié a eu l'occasion, là, de prendre bon nombre de clichés de la région traversée.

Portrait sur toile, signé Meurice, de Jean-Baptiste Beynié, jeune.
(Col. famille Farge - Cliché JPC)
(15 Mars 2021)
Commentaires