On lit dans Wikipédia : "Au cours de la guerre de 1870, Paris s'est retrouvée encerclée. Des ballons à gaz, avec nacelle, ont été utilisés pour transporter notamment le courrier civil ou militaire, et des passagers, ainsi que des pigeons voyageurs. Ils étaient gonflés avec du gaz d'éclairage hautement inflammable. Les départs se faisaient de jour comme de nuit, essuyant les tirs de barrage des troupes prussiennes".
Par la suite, l'engouement de la population pour les ballons (ou aérostats) transportant des passagers s'est développé dans la France entière. Montés par de hardis aéronautes, ils étaient utilisés pour des recherches scientifiques, mais ils participaient aussi à l'animation de fêtes locales dans nos villes et villages. Quelques rares passagers pouvaient en outre être accueillis dans l'étroite nacelle. Certains devaient d'ailleurs payer leur place. Et les nombreux curieux qui voulaient assister de près au spectacle du départ devaient eux aussi, la plupart du temps, acquitter un droit d'entrée : les recettes servaient à financer une partie des recherches. Nous ne savons pas si ce fut le cas à Brive où plusieurs ascensions ont eu lieu, dès la fin des années 1800.
Nos recherches nous ont permis de retrouver le compte-rendu de plusieurs de ces ascensions, des comptes-rendus rédigés par des journalistes, témoins directs des événements, et même par un briviste qui en fut un passager très actif.
Les images d'origine variée qui illustrent cette page ont été ajoutées par nos soins aux récits des auteurs. Avec de plus quelques digressions, comme nous les aimons.
Un aérostat.
Illustration sans lien avec Brive, extraite de la revue L'Aérophile de 1895,
consultée sur Gallica-BNF.
La première ascension dont nous avons retrouvé trace remonte au 7 octobre 1888. C'est celle du ballon "Ville de Brive". Le journal La République n° 1918 du 10 octobre, consulté aux Archives départementales de la Corrèze, raconte : "A 4 heures, le ballon Ville de Brive, monté par un jeune et intrépide aéronaute, M. Besançon, et par un aimable Briviste, M. Beynié, photographe, s'est élevé sur la place de Champanatier. L'ascension a été superbe et a très bien réussi. L'aérostat s'est maintenu à une certaine hauteur, poussé vivement dans la direction sud-est, puis il s'est élevé et on l'a perdu de vue dans les nuages. Le ballon a atteint l'altitude de 2 200 mètres, puis sa descente s'est opérée dans d'excellentes conditions, à Murel, près de Martel (Lot), à environ 25 kilomètres de Brive, 24 minutes après son départ. Au diagramme, le ballon a parcouru 37 kilomètres. Le soir, les aéronautes sont rentrés à Brive par le train de 10 h 12 et ont reçu une ovation au café de l'Hôtel de Bordeaux".
Cette ascension a eu lieu dans le cadre des fêtes de la ville de 1888, marquées aussi par l'inauguration du nouveau collège et du Monument Bourzat, par une course de vélocipèdes (tricycles), suivie d'une course de bicycles, et d'une course de femmes portant des cruches. Après l'ascension du Ville de Brive, à 4 h 1/2 avait eu lieu une démonstration offerte par la société de gymnastique La Gaillarde. En soirée, nos compatriotes avaient pu assister à un concert donné par la musique du 14° de ligne et la Lyre Briviste. Les illuminations étaient superbes ajoute le journal; le feu d'artifice a été très brillant, et une retraite.... sans flambeaux a terminé la soirée.
Revenons sur l'un des deux acteurs de l'aventure : il s'agit bien de Jean-Baptiste Beynié, le photographe briviste né en 1847. Il était installé en arrière du square de la République (futur square Majour puis square du Docteur Chassagnac), à l'angle de l'avenue Charles Rivet. Il accompagnera l'aérostier Georges Besançon dans bon nombre de ses expéditions dans les airs; sa mission : photographier les paysages traversés. Il était en outre Vice-Président de la Société de gymnastique La Gaillarde, et, adepte de la bicyclette, Vice-Président du Véloce-Club briviste dont il était l'un des fondateurs. Ses activités multiples l'éloignaient souvent de son atelier. Pendant ses absences il était remplacé dans son studio par son cousin Marcel Beynié, qui d'ailleurs lui succèdera ultérieurement. Il décèdera à Brive le 28 décembre 1924.
Le studio photographique et la maison d'habitation de Jean-Baptiste Beynié
Le bâtiment existe toujours en 2020 (Doc. delcampe.net)
Trois ascensions suivront en 1891, à bord du ballon Le Sirius, avec Georges Besançon comme Capitaine, Jean-Baptiste Beynié à la photographie, et quelques autres passagers sélectionnés.
La revue L'Aérophile de 1895, déjà citée, nous apprend que l'aérostat avait été construit en 1890 par Besançon lui-même, et le scientifique Gustave Hermite. Il cubait 1,317 mètres, avait un diamètre de 13,60 mètres et sa circonférence était de 42,72 mètres. Tout en soie de Chine, sa surface était de 581 mètres carrés.
Il avait été inauguré par un superbe voyage de Paris au Creusot : 16 heures en l'air avec escale dans le département de l'Yonne. Un nouveau voyage de Gustave Hermite à bord de ce même Sirius de légendaire mémoire suivra dans l'année. En 1891, il fait son apparition à Brive où toutes ses ascensions auront lieu à partir de l'usine à gaz de l'avenue de Bordeaux, le gaz nécessaire pour le gonfler étant désormais à disposition sur place. Le but de ces expéditions rapprochées : en testant de nouveaux appareils de navigation et de nouvelles procédures, préparer un survol du pôle nord qui était envisagé pour le mois de mai 1892 (un projet qui, finalement, ne verra pas le jour, faute de financement).
Une première ascension a eu lieu le 8 mars 1891. Georges Besançon assurait donc la fonction de Capitaine. A peine âgé de 25 ans, il était Directeur de l’École supérieure de Navigation aérienne, mais également journaliste et Directeur de la Revue L'Aérophile. A ses côtés, son ami Gustave Hermite. Membre de l'Académie des sciences, il avait déjà acquis une belle renommée pour ses travaux et ses études astronomiques.
Georges Besançon, à gauche, et Gustave Hermite, à droite.
(Extraits de la revue L'Aérophile de 1894, page 217, et de 1896, page 1, consultées sur Gallica)
Deux autres passagers complétaient l'équipage : notre photographe briviste, et E. Favarel de Brive également. Jean-Baptiste Beynié lui-même a fait un compte-rendu détaillé, minute par minute, de cette première briviste à bord du Sirius, dans le bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze (BSSHAC), dont il était membre (tome 13 de 1891, première livraison, pages 145 à 160). Sa longueur de 16 pages ne nous permet pas de le publier dans son entier. Nous n'en reprendrons donc que des extraits. Mais ceux de nos lecteurs qui voudraient le lire dans sa totalité pourront le consulter sur Gallica, à partir d'ici : CLICK.
L'aventure fut mouvementée, avant même l'ascension :
"Le Sirius qui devait être gonflé pour partir à 2 heures, ne put être prêt à partir que vers 5 heures du soir; le mauvais temps, et de fréquentes bourrasques qui tordaient les tuyaux, s'opposaient à chaque instant à l'arrivée du gaz. Après le "Lâchez tout !" traditionnel prononcé par M. Besançon, à 4 h 50, le ballon s'éleva assez rapidement, et, prenant la direction Nord-quart-Nord-Est, atteignit la hauteur de 600 mètres. A cette hauteur la ville de Brive
offrait un aspect réellement merveilleux. D'un côté la Corrèze qui
s'éclairait vivement sous les derniers rayons du jour, de l'autre la
foule s'écoulant par nos magnifiques boulevards, et formant comme une
seconde rivière noire roulant à flots pressés, présentaient un contraste véritablement magique".
A la vitesse d'un train express, ils survolèrent Donzenac, Sadroc. Ils aperçurent au loin Vigeois, Allassac, Sainte-Féréole et toute la chaîne des Monédières. Puis, après être entrés dans un nuage, ils passèrent au-dessus du Bariolet, du Puy Chammard et du Puy Grolier; ils arrivèrent à Uzerche à 34 kilomètres de Brive à 5 h 20 minutes et traversèrent la Vézère. Ils survolèrent ensuite le château de Fargeas et aperçurent Treignac. La nuit approchait. Retrouvons là le récit de J-B. Beynié :
"Entre Meilhard et Beaumont nous passons
au-dessus d'une forêt presque entièrement consumée : une langue de feu
de 50 à 60 mètres de longueur s'avançait rapidement, continuant son
œuvre de destruction. Le ballon s'élève de lui-même à ce moment, sans
cause appréciable. [...] Après avoir passé au-dessus de plusieurs
petits villages et de montagnes assez hautes, nous remarquons sur la
plus élevée une chapelle complètement isolée; cette montagne est le mont
Gargan, dont l'altitude est de 731 mètres. Nous sommes dans la vallée
de la Vienne, emportés avec une vitesse presque vertigineuse; la terre
fuit sous nos pieds. [...] MM. Hermite et Besançon se préoccupent de l'atterrissage, le temps devenant très sombre. [...] M. Hermite fait jouer la soupape; nous descendons à
600 mètres et à proximité d'un village. Les habitants nous suivent au
pas de course. Nous leur crions : Où sommes nous ? Notre voix ne porte
pas; nous entendons pourtant leurs cris sans pouvoir distinguer leurs
paroles. Nous descendons toujours. Nous apercevons alors un château qui
parait inhabité; marchant de plus en plus rapidement nous arrivons en
vue de Bujaleuf (Haute-Vienne).
M. Hermite veut atterrir dans un endroit
assez découvert, mais malheureusement rempli de marécages; nous décidons
de franchir une chaine de montagne assez élevée qui se montre à
quelques centaines de mètres en
avant, espérant trouver de l'autre côté
un abri contre le vent, dont l'intensité devient de plus en plus forte.
Nous ne sommes plus qu'à 100 mètres de hauteur, le guide-rope commence à
traîner. Nous franchissons le Puy de Breix (529 mètres) avec cet appareil.
Le ballon s'élève en longeant la pente de la montagne, ce qui, surtout
pour un novice, produit une impression curieuse. [...] A tout instant on
croit heurter l'obstacle qu'on a devant soi, mais le poids du guide-rope
traînant à terre nous déleste et nous fait remonter doucement le long
des rampes. [...] Nous apercevons un endroit favorable à
l'atterrissement. M. Besançon détache le grappin Renard [ndlr : appareil de mesure portant le nom de son inventeur, un certain Commandant Renard] et le tient prêt à
fonctionner. M. Hermite nous prévient que l'on va toucher et donne un
coup de soupape, en même temps que M. Besançon laisse coulisser le
grappin-chaine sur la corde d'ancre. [...] Lorsque l'on exécute cette
manœuvre, les dents du grappin raclent le sol et font traction sur la
corde d'ancre.
M. Besançon prévoit une catastrophe et nous en avertit. Il faut à tout prix s'arrêter. Tout le village de Bujaleuf est sur pied et nous suit en courant. Le vent courbe presque jusqu'à terre les arbres que nous apercevons à quelques mètres de la nacelle. [...] Poussé par le vent le ballon filait toujours, et une catastrophe serait certainement arrivée si le guide-rope ne s'était enroulé autour d'un jeune châtaignier qui, pliant sans se rompre et servant alors de grappin, arrêta la course vertigineuse de notre frêle embarcation. Un homme qui se trouvait à quelques mètres de là vient à notre secours. [...] Tout à coup, le ballon maintenu par le guide-rope et poussé par le vent, frappe violemment la terre. Nous éprouvons une terrible secousse. M. Hermite ne veut pas quitter la corde de la soupape mais il se démet l'épaule, et M. Besançon qui tient à la main un couteau, prêt à couper les cordages, le laisse échapper de ses mains; en se baissant pour le ramasser, il reçoit de fortes contusions à la tête et aux genoux". [...]
Georges Besançon en 1920, dans Wikipédia.
On peut consulter le très long article qui lui est consacré ici : CLICK.
De très longues minutes de combat furent encore nécessaires pour arrêter le ballon qui s'était à nouveau élevé dans le ciel. Il pût finalement être maintenu au sol, avec l'aide de la population, et les passagers s'empressèrent de quitter la nacelle. Messieurs Hermite et Besançon furent conduits chez le maire de la Commune où ils reçurent les premiers secours, pendant que Mr Favarel cherchait une voiture pour amener les blessés jusqu'à la ville d'Eymoutiers où se trouvait le plus proche médecin.
"Pendant ce temps, poursuit J-B. Beynié, je procédais avec l'aide des personnes présentes au dégonflement du ballon, que la violence du vent rendait fort difficile, et qui ne put être terminée qu'au bout de 2 heures. Presque tous les instruments qui avaient servi aux observations météorologiques de MM. Hermite et Besançon ont été brisés ou faussés dans les chutes mouvementées de la nacelle". [...] Notre projet, en partant de Brive était de prolonger notre voyage pendant au moins deux jours. Malheureusement, les accidents arrivés à MM. Hermite et Besançon par suite de la violence de la tempête ne nous ont pas permis de donner suite à votre voyage".
Après avoir été pansés par le médecin d'Eymoutiers, tous les membres de l'équipage passèrent la nuit chez le Maire de Bujaleuf. Le lendemain ils prirent le train pour Brive où ils arrivèrent à 5 h 19. Messieurs Hermite et Besançon repartirent le surlendemain pour Paris.
Il en aurait fallu plus pour décourager nos aventuriers !
Comme lors de la précédente ascension, J-B. Beynié a publié un compte-rendu de celle-ci dans le BSSHC (tome 13 de 1891, troisième livraison, pages 409 à 418). Nous allons à nouveau en publier de larges extraits, mais ceux de nos lecteurs qui voudraient le lire en entier pourront le consulter sur Gallica, à partir d'ici : CLICK.
"Cette ascension complètement privée, avait pour but des expériences photographiques et scientifiques. Grâce aux intelligentes dispositions prises par M. Hackart, directeur de l'usine à gaz, le ballon tout gonflé nous attendait déjà, bien avant l'heure fixée pour le départ. Le temps qui jusque là avait été beau, s'est subitement couvert; une légère averse est même tombée ce qui a chargé l'aérostat d'un poids d'humidité qu'on peut évaluer à 200 kg environ. [...] Le vent s'est aussi mis de la partie; sa direction était en plein sur la grande cheminée de l'usine, dont nous étions très rapprochés, ce qui aurait pu avoir pour nous de graves conséquences si nous étions partis à ce moment. Après une heure d'impatience, MM. Meaume, Favarel et nous, prenons place dans la nacelle et aidons M. Besançon à faire les derniers préparatifs qui sont terminés à 11 heures précises; nous avons dans la nacelle neuf sacs de lest (160 kilos) et divers objets, vivres, instruments et appareils photographiques : 20 kilogrammes. M. Besançon, profitant d'un moment de calme commande le "Lâchez-tout !". L'aérostat s'élève majestueusement en suivant une ligne presque verticale jusqu'à 50 mètres, et prend la direction sud-est".
L'ascension du Sirius, le 13 mai 1891 (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
© Collection Ville de Brive-Musée Labenche - Cliché Ville de Brive-S. Marchou
Cette superbe photographie de l'envol du Sirius mérite quelques commentaires.
Elle est signée de Jean-Baptiste Beynié.... qui était dans la nacelle ! Alors, qui a réellement pris le cliché ?
Et si c'était en fait le cousin Marcel, habitué aux prises de vue ? Mais nous n'en savons rien !
On distingue parfaitement sur les flancs de la nacelle, les sacs de lest, les grappins, et le guide-rope sur la droite.
J-B. Beynié poursuit, après avoir noté que, quoique la lumière n'ait pas été très favorable, il avait pu prendre une vue du splendide panorama, au-dessus de la ville, puis une seconde un peu plus loin.
"A 11 H 20 nous sommes sur Noailles. A gauche, Turenne et sa superbe tour; à droite, Lissac, Chasteaux; plus en avant Nespouls, Estival, Cressenssac. Nous passons entre ces deux localités. C'est à peu près le même courant que nous avons suivi avec M. Besançon lors de ma première ascension le 7 octobre 1888. [...] Nous passons Gignac au niveau des nuages, laissant à notre gauche la route nationale parallèle à la nouvelle ligne du chemin de fer de Brive à Toulouse, si riche en travaux d'Art; nous remarquons plusieurs viaducs, entre autres celui du Boulet. J'en prends une vue. [...] Nous continuons à monter et atteignons 1 275 mètres. A ce moment un grondement de tonnerre se fait entendre, l'orage est à 2 kilomètres de nous et semble nous poursuivre; nous ressentons tous les quatre un bourdonnement d'oreilles qui nous a rendus presque sourds pendant deux à trois minutes. [...] Une grande humidité produite par les nuages que nous touchons et la Dordogne qui est juste au-dessous de nous et que nous traversons, nous fait redescendre à 600 mètres au-dessus de Cazoulès. [...] De midi 7 à midi 20 nous gardons à peu près la même altitude, entre 600 et 750 mètres; nous sommes près du château de Lamothe-Fènelon, et nous nous dirigeons sur Payrac." [...] Plus loin, c'est l'orage. "Le pavillon, la manche d'appendice et le tuyau de gonflement sont agités fortement. Il se produit des mouvements giratoires rapides et de fortes oscillations du ballon et de la nacelle. L'orage gronde plus fort; j'en prends une vue. Nous n'avons plus que deux sacs et demi de lest. Malgré le désir que nous aurions de prolonger notre voyage, nous pensons qu'il serait prudent d'atterrir. Quelques reflets brillants attirent notre vue, c'est le Lot. [...] Nous jetons du lest pour ne pas laisser prendre de vitesse acquise au ballon. Le guide-rope traine. Il est 1 h 28. Le vent est assez violent et change notre direction sur Castelfranc.
Diagramme de l'ascension du Sirius, le 13 mai 1891.
Cliquez sur l'image pour pouvoir l'agrandir et le consulter dans son entier.
(Extrait du compte-rendu de J-B. Beynié)
[...] C'est ensuite le passage de plusieurs montagnes. "Le vent redouble. Nous vidons un sac de lest pour lutter contre le rabattement. Nous sommes sur un petit bois; le grappin glisse entre les arbres, arrache la cime de l'un d'entre eux, sans nous arrêter. Des paysans accourent; nous leur crions d'approcher en les avertissant qu'il n'y a aucun danger pour eux; malheureusement la plupart n'ont jamais vu de ballon monté et ignorent les services qu'ils pourraient rendre dans cette circonstance. [...] Il est 1 h 30 lorsque le grappin, qui vient de traverser un cours d'eau, mord sur la rive opposée; une traction du câble nous indique que nous sommes arrêtés. Nous saisissons les cordes de suspension de la nacelle, afin d'éviter la secousse qui se produit en touchant le sol; c'est pourtant avec mollesse que nous descendons dans un champ, au hameau de Suquals, commune de Junies, canton de Catus. Le propriétaire du terrain et sa femme sont à deux pas de nous; nous les prions de venir maintenir la nacelle qui, soulagée du poids des cordages, remonte par deux fois de quelques mètres. La femme la première comprend ce que nous lui demandons. Quelques paysans, qui ont eu le temps d'approcher, imitent son exemple et parviennent à maintenir l'aérostat. Nous quittons la nacelle et commençons le dégonflement qui s’opère assez vivement, malgré la violence du vent qui roule le ballon sur le sol. [...] Aidés de braves gens qui maintenant sont très nombreux autour de nous, nous achevons ce travail en moins d'une heure et demi. Des bras vigoureux transportent le tout sur une charrette qui nous conduit à Castelfranc, dont nous ne sommes qu'à deux kilomètres, et nous arrivons assez tôt pour prendre le train de Cahors où nous avons passé la soirée. [... et la nuit]
Nous prenons à 7 h 40 du matin le train qui nous ramène à Brive, enchantés de ce voyage."
Au terme de ce troisième récit, peut-être éprouvez-vous l'impression d'un manque. Oui, vous avez raison : il manque la photo de notre aéronaute amateur, le photographe de toutes ces expéditions, Jean-Baptiste Beynié. En voici donc un auto-portrait, dans un montage qu'il a réalisé.
Attaquons maintenant notre quatrième récit, avec la troisième ascension du Sirius au départ de Brive, quelques jours plus tard, le 31 mai. Nous en avons trouvé le compte-rendu dans le numéro 2334 du journal La République, daté du 3 juin 1891, consulté aux Archives départementales de la Corrèze (cote 62Pr 9).
"Comme nous l'avions annoncé, le Sirius est parti de l'usine à gaz, dimanche à 10 h 30. Le ballon était monté par MM. Besançon, aéronaute, Beynié, Favarel et deux officiers du 14°. Dans la nacelle, sept sacs de lest.
La montée s'est opérée verticalement jusqu'à 5 ou 600 mètres; à cette hauteur, l'aérostat a pris la direction du nord. Il n'a pas tardé à atteindre 800 mètres entre Ussac et Saint-Viance. La rivière et quelques vapeurs humides lui ayant donné du poids, le ballon est descendu assez rapidement à 400 mètres. Le guide-rope n'étant pas déployé, il a fallu dépenser deux sacs de lest pour remonter. Le Sirius a suivi alors la nouvelle ligne de chemin de fer de Limoges à Brive. A 10 h 50, il était à 900 mètres d'altitude presque au-dessus du viaduc du Gaucher. Obliquant légèrement à gauche, il a passé sur Allassac à 11 h 25 et à 1500 mètres d'altitude. De cette hauteur, nos voyageurs aériens ont assisté de visu à la procession qui avait lieu en ce moment et ont entendu les tambours qui battaient aux champs.
Peu d'instant après, ils ont pu admirer les pittoresques gorges du Saillant.
Un cliché (recto et verso)
non légendé,
pris par J-B. Beynié,
peut-être
depuis un des ballons
où il s'est illustré.
(Doc. ebay)
A midi, ils étaient à 1460 mètres d'altitude et avaient devant eux, un peu à droite, le Glandier, à gauche Voutezac et un peu plus loin Pompadopur. On a atteint à ce moment 1 610 mètres.
Quelques petits nuages qui se trouvaient au-dessous de l'aérostat lui ont donné pas mal d'humidité qui a fait opérer un mouvement de descente. Le pays étant très accidenté au-dessous, il a fallu jeter trois sacs de lest pour éviter un atterrissage. Devant cette perte de charge, ne pouvant sans danger prolonger plus longtemps le voyage, on s'est préoccupé de chercher un endroit propice à la descente. Lubersac étant en vue, les voyageurs ont ménagé le peu de lest qui leur restait pour arriver jusqu'à cet endroit; depuis le jet des trois sacs, l'équilibre s'est maintenu entre 1 600 et 1 400 mètres. A 12 h 40, ils étaient perpendiculairement au-dessus de Lubersac, comme si le ballon avait compris leur intention.
L'aérostat est descendu de lui-même, par son propre poids, sans qu'on ait besoin d'ouvrir la soupape. L'atterrissement a eu lieu dans un pré situé aux abords de la ville même. La procession qui avait lieu à ce moment, s'est disloquée et toute la foule s'est empressée, avec le plus grand enthousiasme, à aider au dégonflement du ballon.
Les cinq passagers sont rentrés à Brive par le train de 5 h 14, enchantés de leur court mais intéressant voyage".
D'autres ascensions du Sirius au départ de Brive ont peut-être eu lieu; ou bien nous n'en avons pas retrouvé le
compte-rendu, ou bien aucun n'a été publié.
Ce ne serait pas étonnant, pourtant, d'autant plus que le journal La République, en annonçant un peu en avance celle du 31 mai que nous venons de relater, avait lancé un appel aux brivistes désireux de tenter une promenade aérienne. Contre rétribution, bien sûr ! Y avait-il eu des candidats, nous ne le savons pas.
(d'après La République n° 2331 du 27 mai 1891 - AD19 cote 62Pr 9)
Un autre aérostat resté célèbre s'élèvera dans le ciel de la place Thiers quelques années plus tard, le 2 août 1908, en attraction lors des fêtes des quartiers
Thiers et Puy Blanc. C'est le ballon "Le Thiers". Nous l'avons déjà présenté sur notre site il y a presque 9 ans déjà ! Vous pouvez retrouver le BONUS qui lui a été consacré, au bas de cette page : CLICK.
Et puis nous avons aussi retrouvé trace de l'envol du ballon "L"Afrique équatoriale", le 26 juillet 1914, le jour de l'inauguration du monument dédié au Colonel Germain, sur la place Thiers. Il touchera terre quarante minutes plus tard, à Argentat (19).
(15 mars 2020)
Vous pouvez aussi retrouver la suite des aventures du Sirius, de son capitaine Georges Besançon, et de Jean-Baptiste Beynié, loin de la Corrèze, dans un nouveau sujet en cinquième partie du site. C'est ici : CLICK.
1919 : HISTOIRE COURTE D'UN BALLON BRIVISTE HEUREUSEMENT NON MONTÉ.
(extrait de l'hebdomadaire La République de la Corrèze n° 6369 du 20-7-1919 - AD 19 cote 62Pr 39)