- le passage du Pape Pie VII à Brive, les 29 et 30 janvier 1814

Voilà un épisode de la petite histoire de Brive, qui rejoint la Grande Histoire de la France. Et c'est par un bref résumé d'une page de cette dernière qu'il nous faut débuter notre sujet.
Nous sommes au tout début des années 1800. Napoléon Bonaparte est au pouvoir; il est alors premier Consul. Les différends entre lui et le Pape Pie VII vont s'aggraver d'année en année. Le contexte est expliqué dans les lignes qui suivent, à la fois concises et précises. Elles nous ont semblé être un excellent résumé de la situation.
Elles proviennent du site Internet "L'Histoire par l'Image" (ici : CLICK), sous la signature d'Alain Galoin.
On y retrouve des éléments que nous avons, dans notre jeunesse, appris en cours d'histoire.... il y a bien longtemps !
Précisons encore que la plupart des illustrations de notre sujet ont été recherchées et intercalées par nos soins : elles ne font que rarement partie des textes cités.

LA GRANDE HISTOIRE : LE CONTEXTE

"En acceptant de ratifier, le 15 août 1801, le Concordat conclu entre Rome et le gouvernement français, le pape Pie VII s'engage dans la voie d'une relative normalisation des relations entre le Saint-Siège et la République française.
Néanmoins, la promulgation des soixante-dix-sept Articles organiques, le 18 avril 1802, tend à faire de l’Église de France une Église nationale, aussi peu dépendante de Rome que possible, et asservie au pouvoir civil. Ces articles stipulent notamment que "les papes ne peuvent déposer les souverains ni délier leurs sujets de leur obligation de fidélité, que les décisions des conciles œcuméniques priment sur les décisions pontificales, que le Pape doit respecter les pratiques nationales, qu'il ne dispose enfin d'aucune infaillibilité." Ainsi le gallicanisme est-il en partie restauré, mais le Saint-Père ne peut accepter la subordination de l’Église de France à l’État.

C'est pour tenter d'obtenir l'abrogation des articles organiques que le Pape accepte de venir sacrer Napoléon Bonaparte empereur des Français à Notre-Dame le 2 décembre 1804, mais il rentre à Rome sans avoir obtenu gain de cause.

"Sacre de l'empereur Napoléon 1er et couronnement de l'impératrice Joséphine
dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris le 2 décembre 1804".
Tableau peint entre 1806 et 1807 par Jacques-Louis David, peintre officiel de Napoléon 1er.
Il est exposé au Musée du Louvre à Paris (Source : Wikipédia)


Par le suite, les relations entre Pie VII et Napoléon 1er ne vont pas cesser de se dégrader. L'Empereur veut inclure les États pontificaux  dans son système continental  dirigé contre l'Angleterre : "Votre Sainteté est souveraine de Rome, mais j'en suis l'Empereur, tous mes ennemis doivent être les Siens", écrit-il au pape le 13 février 1806. Mais le souverain pontife refuse d'adhérer au blocus continental, considérant que sa charge de pasteur universel lui impose la neutralité. La répression impériale ne se fait pas attendre et va crescendo : les états de l’Église sont bientôt réduits au patrimoine de Saint-Pierre (1806-1808); Rome est occupée militairement (2 février 1808) ; les États pontificaux sont annexés à l'Empire (17 mai 1809) ; le pape est enlevé par le général Radet dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809. Pie VII est d'abord détenu à Savone (1809-1812), puis à Fontainebleau (1812-1814). Napoléon envisage alors de fixer le siège de la papauté en France, à Avignon ou à Paris."

Pie VII et Napoléon par José Frappa (1854-1904).
Cette toile a fait l'objet d'une vente aux enchères sur Internet.
(Doc. artnet.com)

Pie VII restera donc détenu, ou plutôt retenu -comme on préférait souvent dire- à Savone, dans le nord de l'Italie, puis à Fontainebleau, de 1809 à 1814.
Au tout début de l'année 1814, l'Empereur, dont la situation n'était guère brillante, en raison des revers militaires qui s'accumulaient, décida de le libérer. Le Pape était alors devenu un vieillard. A partir du 23 janvier s'ensuit pour lui un très long et fatigant voyage qui le ramènera d'abord à Savone, puis à Rome.

L'épopée de Pie VII, depuis son départ de Rome jusqu'à son retour dans cette ville, en passant par sa longue captivité, a été rapportée dès 1814 par plusieurs auteurs, dans des ouvrages souvent devenus extrêmement rares. Citons-en quelques-uns que nous avons consultés. Sur Google books, nous avons retrouvé celui qui est intitulé "Précis historique du voyage et de la captivité de Pie VII depuis son départ de Rome jusqu'à son retour dans cette ville par M. L. ***, orné du portrait de Sa Sainteté". L'original qui a été reproduit, est conservé à la bibliothèque de l'Université de l’État du Michigan, aux États-Unis !

Le portrait de Pie VII publié en 1814 dans l'ouvrage précité (Doc. Google books)

La même année, c'est l'abbé Massainguiral, Vicaire Général du diocèse de Limoges, et Supérieur de son séminaire, qui relatera le voyage de retour du pape de Fontainebleau vers Savone, avant de pouvoir retrouver Rome. Un exemplaire de ce document est conservé aux Archives départementales de la Corrèze :

La couverture de la publication de l'abbé Massainguiral (Doc. AD 19 - cote BR 510)

Toujours en 1814, l'historien Alphonse de Beauchamp diffusera son "Histoire des Malheurs et de la Captivité de Pie VII sous le règne de Napoléon Buonaparte". Une seconde édition, "corrigée et augmentée", sera publiée chez F. Le Prieur, Libraire à Paris en 1815. Un exemplaire, conservé à l'Université d'Oxford (Angleterre), a été repris sur Google Books.
Le récit du passage du pape à Brive se limite à quelques phrases seulement. Par contre on y trouve une belle gravure ou le pape, assis, se trouve en grande discussion avec à un interlocuteur qui n'est pas nommé, debout devant lui : l'Empereur (?) ou -plus vraisemblablement, selon nous- son geôlier Lagorsse (?).

Gravure extraite de l'ouvrage d'Alphonse de Beauchamp (Doc. Google books)

En 1924, Louis de Nussac, abordera le même sujet, de façon originale, dans le tome 41 du bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze (pages 96 à 122 et 193 à 226). Dans une rubrique intitulée "Biographies brivistes", son très long article est en effet consacré au Capitaine de Gendarmerie (puis Commandant et Colonel) Antoine Lagorsse, natif de Brive, qui fut chargé de l'escorte du pape depuis l'Italie jusqu'à Fontainebleau, puis de sa surveillance pendant sa captivité, et enfin de le raccompagner jusqu'à Savone au moment de sa libération. A travers ce portrait, ce sont en fait toutes les péripéties de la vie de Pie VII, de Rome à Rome, qui nous sont racontées.

Plus tard, l'historien Henri Delsol consacrera un long article à ce même sujet dans le numéro 1846 de l'hebdomadaire La Croix de la Corrèze, en date du 3 février 1929 (AD 19 - cote 68Pr 26).

C'est le récit qui a été publié par Louis de Nussac que nous avons choisi de reprendre, au moins en partie.
Nous rejoignons en effet le convoi de Pie VII au moment où il fait son entrée à Donzenac, le 29 janvier 1814.



LA PETITE HISTOIRE : LE PASSAGE DU PAPE A BRIVE

"A Donzenac, toute la paroisse, le Curé-doyen M. Goulmy en tête, salue au passage le cortège pontifical qui fait halte à l'hôtel du Périgord tenu pat M. Grivel, maître de poste; celui-ci endosse alors la livrée du postillon et mène la voiture jusqu'au prochain relai.

Au gros village de Saint-Antoine des Plantades, un groupe de jeunes gens à cheval conduit par M. Leyrat, a gravi la longue cote de la Pigeonnie venant de Brive. Pour être agréable à ses compatriotes brivistes, le Commandant Lagorsse qui ne devait s'arrêter pour coucher qu'au relais de Cressensac, fit exception en faveur de sa ville natale et va y séjourner la nuit.
Pour l'entrée en ville, il fait même éloigner l'escorte de gendarmes et les jeunes cavaliers brivistes les remplacent; sur la route de Paris, se sont portés en rangs pressés les gens de tous les environs, où la nouvelle de l'arrivée s'est vite répandue.

Le Curé-Archiprêtre de Saint-Martin de Brive, M. l'Abbé de Cosnac, vicaire général de Limoges, plus tard évêque de Meaux, puis archevêque de Sens, s'était rendu à Donzenac avec M. Charles Beauregard, juge de paix; il présente les notabilités locales au Saint-Père. Quand ils arrivent à Brive pour y coucher, il est près de sept heures, les cloches de l'église Saint-Martin sonnent à toute volée. Sa Sainteté descend avec toute sa suite dans le principal hôtel de l'endroit, l'hôtel de Bordeaux tenu alors par Mme Veuve Rigal, et où ont lieu, aussitôt les présentations; "l'Auguste Pontife a paru très sensible à l'empressement des fidèles qui se pressaient sur son passage, dit un souvenir de l'époque, cet enthousiasme religieux rendait plus touchant l'impression de douceur et de résignation répandue sur le visage du Saint-Père".


L'Hôtel de Bordeaux, à droite, tel qu'il était peut-être au moment du passage du pape
(la carte postale date du début des années 1900)
(Col. JPC)

Sa Sainteté dit à M. de Cosnac que le clergé et les religieuses, même cloîtrées, pourraient entendre la messe qu'on célèbrerait le lendemain dimanche à 7 heures du matin, et à laquelle il assisterait. La nuit fut employée à dresser une chapelle, à préparer tout ce qui était nécessaire pour dire la messe dans la grande salle de l'hôtel.
Le lendemain donc, l'Archevêque D'Edesse - le Cardinal Isso comme on l'appelle alors, - l'aumônier et confesseur du Pape, Mgr Berthalozzi, revêtu d'une soutane violette, ayant pris les habits sacerdotaux, - le Saint-Père entra dans la salle, et, après avoir salué la croix, il alla se placer sur un Prie-Dieu qui était au milieu de la salle. Il entendit la messe à genoux, les mains jointes dans un profond recueillement. Les Ursulines, sorties de leur cloître, les religieuses desservant l'hospice et quelques fidèles privilégiés composaient l'assistance.

Un portrait de Pie VII (photographie d'écran aux Archives départementales de la Corrèze - cote 2Fi 1267).
Ce portrait était autrefois conservé au presbytère de la paroisse Saint-Martin de Brive.

Le même portrait de Pie VII, une miniature en couleur,
désormais présentée dans la crypte de la Collégiale Saint-Martin (Cliché JPC - 22 janvier 2019)

Après la messe, s'étant retiré dans son appartement, le Saint-Père y prit une tasse de chocolat. Une demi-heure après il fit annoncer qu'il recevrait les ecclésiastiques et les religieuses. Il était assis dans un fauteuil. On se prosternait à ses pieds et on baisait avec religion une petite croix qui était au bout de chacune de ses pantoufles. Il faisait baiser son anneau pastoral aux prêtres.

Le curé de Brive, à genoux, sollicite de Sa Sainteté une indulgence plénière à perpétuité pour tous ceux qui se confesseraient et communieraient le dernier dimanche après l’Épiphanie (c'est pour la célébration de l'Anniversaire, ce qui a lieu depuis). Après avoir obtenu ce qu'il demandait, M. de Cosnac lui dit : "Saint-Père, ces indulgences feront époque dans notre ville; elles attesteront que nous avons eu le bonheur de recevoir dans nos murs le Chef de l’Église".
Le Pape s'approcha alors d'une galerie avec perron donnant sur la route nationale de Bordeaux - certains disent de la fenêtre de sa chambre, ayant même vue - et de là, il bénit trois fois le peuple qui était assemblé en foule, malgré une très forte pluie. Il bénit aussi des chapelets qu'on lui tend.

Un autre portrait du Pape Pie VII - Miniature anonyme, 1° Empire - 11,5 x 12 cm.
© Cliché et collection Ville de Brive - Musée Labenche.

M. Lagorsse demande alors à Sa Sainteté la permission de lui présenter ses parents (son père était receveur des finances de la Corrèze); Pie VII y consent et en les recevant avec beaucoup d'affabilité, il leur fait compliment de ce que leur fils était honnête (Honnête a sans doute ici le sens d'homme de devoir). Le commandant ne cacha pas ensuite qu'il avait ménagé l'arrêt à Brive pour faire donner à sa mère la bénédiction papale.

Un portrait du Colonel Lagorsse : cette image illustrait l'article de Louis de Nussac 
publié dans le bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze de 1924.


A 9 h 12, le Pape repart avec cinq voitures et le cortège, sur la route nationale de Toulouse; les jeunes gens de la ville, à cheval, l'accompagneront de nouveau jusqu'à Cressensac. Là il n'est plus dans le diocèse de Limoges, mais dans celui de Cahors, le Lot."

A une date que nous n'avons pas déterminée une plaque commémorant le passage de Pie VII à Brive a été apposée dans la collégiale Saint-Martin, sur un pilier, à l'angle du chœur et de l'abside sud :

(Cliché JPC - juillet 2017)

Dans son récit, Louis de Nussac publie une dernière image, celle  de l'arrivée de Pie VII à Savone. La voici, avec la légende qui l'accompagne. C'est avec elle que nous terminerons notre sujet.

Pie VII remis par Lagorsse aux avant-postes de l'armée Austro-Napolitaine, au bord du Faro.
(d'après une gravure de Passenli - Cliché de la revue Rome)


(1° octobre 2017)

COMPLÉMENT DU 25 FÉVRIER 2020 :  une autre gravure représentant le pape Pie VII

(DOC. AD19 - cote 2Z 16)
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