- les ennuis d'un photographe briviste victime d'une rumeur en août 1914


Paul Edmond Girardin était un photographe briviste réputé. D'origine suisse, il exerçait son art dans sa boutique située boulevard du Palais, juste en face du tribunal. Les débuts de la guerre 1914/1918, à une époque où les rumeurs allaient bon train, seront pour lui un moment difficile à passer.

Edmond Girardin avait son magasin installé à l'emplacement où apparait sur cette carte plus récente,
le bar-restaurant de Maurice Cueille, "A la Chope du Palais" (Doc. delcampe.net).

Dans ses "carnets"  publiés sur internet par les Archives municipales sous le titre "Une fleur en guerre" (c'est ici : CLICK) , Marguerite Genès raconte à la date du 3 août 1914, la rumeur et ses conséquences pour le photographe briviste.

"Vers 1 heure, le bruit se répand que Girardin le photographe suisse, est un espion; qu'il photographiait nos engins de guerre; qu'il avait reçu 25 000 F pour faire sauter le viaduc de Vignols; etc., etc. La foule se précipite dans sa maison, brise tout, veut jeter la bonne par la fenêtre et pousse des cris de mort contre l'étranger qui se cache dans le grenier d'un voisin. Les femmes sont les plus excitées.
Notre ami le lieutenant P. découvre le photographe, l'amène par le jardin et l'enferme à la gendarmerie pour que la populace ne le lynche pas. Le premier adjoint harangue la foule et l'engage de se retirer, mais deux mille personnes persistent à attendre l'espion, et quelques forcenés, grimpés sur une maison en construction, tiennent des briques toutes prêtes. Une femme crie dans la foule : " Je veux l'assommer avec mon parapluie, il a tiré le portrait de mon mari pour l'envoyer à Berlin."
Un passant roux de cheveux comme Girardin, est un instant pris pour lui et malmené. Mise en train, la foule découvre des complices au photographe, si bien qu'un réserviste déclare : "Quelle sâle [sic] ville ! C'est plein d'espions".

Carte commerciale d’Edmond Girardin (Doc. delcampe.net)


Nous disposons d'un autre témoignage, beaucoup plus détaillé, des incidents qui se sont produits ce jour là dans Brive. Il s'agit du compte-rendu publié dans le numéro 1103 daté du 9 août 1914 de l'hebdomadaire La Croix de la Corrèze, que nous avons consulté aux Archives départementales (AD 19 - cote 68Pr 15). Le voici dans son intégralité.

"Lundi vers trois heures de l'après-midi, une grande manifestation eut lieu devant la demeure de M. Girardin, photographe, boulevard du Palais.
Sur l'indication, parait-il de deux citoyens, dont l'un naguère partisan de la loi de deux ans [la loi dite des deux ans, votée le 21 mars 1905 prévoyait de réduire la durée du service militaire de 3 à 2 ans, ndlr] est devenu subitement un ardent citoyen, M. Girardin fut désigné à la foule comme étant un allemand qu'on avait surpris faisant de l'espionnage.
Le photographe est assiégé dans sa maison. Craignant qu'on ne lui fasse un mauvais parti, il se sauve par une porte de derrière et se réfugie dans la maison du docteur Lagorse, son voisin.
Mais la foule a remarqué cet exode et elle envahit l'immeuble du docteur. Celui-ci sort, et M. Peyre, avocat, survenant en tenue de lieutenant de réserve, il le prie d'intervenir. Celui-ci requiert quelques soldats de lui prêter main-forte. Ils font évacuer l'enclos, puis le lieutenant et quelques hommes vont à la recherche de M. Girardin qu'ils trouvent dans le grenier du docteur, le font passer par le jardin voisin de l'église Saint-Sernin et l'amènent à la gendarmerie.

Cependant, la foule qui bientôt occupe tout le boulevard continue de crier et de devenir menaçante. Un réserviste remarquant, dit-on, son propre portrait à la devanture du photographe, dit ne pas vouloir laisser son image chez un espion, et d'un coup de pied il enfonce la vaste glace. D'autres personnes ont envahi la maison et y causent pas mal de dégâts; elles brisent notamment une armoire à glace.



Parmi les spécialités d’Edmond Girardin,
les photos de militaires ... avec toujours une chaise et des nuages comme décor !
(Doc. delcampe.net à gauche et au centre, eBay à droite)

Un officier survenant mande en toute hâte un piquet d'infanterie qui arrive bientôt et, baïonnette au canon, entoure la maison et tient la foule à distance.

La sous-préfecture, la police et le parquet ont été prévenus. M. le sous-préfet, M. le commissaire de police, M. le commandant Collet qui participe à la police de la place, par suite de l'état de siège, M. le procureur de la République, arrivent et opèrent une perquisition dans l'immeuble du photographe; ils ne trouvent rien de compromettant.
M. Girardin est interrogé et il n'a pas de peine à prouver que, s'il est suisse, il est en règle avec la loi française, que sa mère et les siens habitent la France, et qu'il ne s'est nullement livré à l'espionnage. Le parquet reconnait la chose, exprime à M. Girardin ses regrets de cet incident et lui promet toutes les réparations possibles.

Cependant, la foule continue d'assiéger la maison. A deux reprises M. le Commandant Collet et M. le capitaine de gendarmerie interpellent les assiégeants, les invitant au calme, leur affirmant que M. Girardin n'est pas coupable. C'est seulement tard dans la soirée que la foule finit par se disperser.


A minuit, M. Girardin et sa sœur qui était allée le rejoindre, quittent la gendarmerie et vont passer la nuit dans une autre maison de la ville.

Étaient controuvés [controuver = affirmer mensongèrement, ndlr] également les bruits les plus divers qui ont couru sur cet incident : M. Girardin surpris à 10 heures du matin, un jour de foire, mettant une bombe de dynamite sous un pont du chemin de fer; des photographies de mitrailleuses trouvées dans son auto, une conversation en allemand surprise au téléphone, etc., etc...

Mais aussi les portraits de femmes, d'hommes et d'enfants (Doc. delcampe.net)
Pas de paysages, de manifestations ou de bâtiments du patrimoine briviste, semble-t-il.

On verra plus loin que cet incident a déjà eu des suites fâcheuses pour certains manifestants. On assure qu'il en aura de pécuniaires pour la ville, responsable du bris de clôtures et autres dégâts, peut-être aussi pour celui ou ceux  qui prirent l'initiative de cette déplorable manifestation.

A cette heure l'élan patriotique de la population est magnifique; la misérable querelle que nous cherchent les allemands provoque la juste indignation de tous; on comprend dès lors que la foule soit sans pitié pour les espions qui feraient parmi nous la criminelle besogne des ennemis; mais il ne faut pas voir des espions partout et c'est une raison de plus pour ne pas accuser un citoyen de se livrer à l'espionnage sans avoir eu la preuve.
Défions-nous de l'emballement irréfléchi et des fausses nouvelles.

A la suite de ces incidents relatifs à l'affaire Girardin, M. Léon ... du 95° territorial, négociant à Brive, a été condamné par le tribunal correctionnel à 6 jours de prison avec sursis pour bris de clôture. Le bénéfice de la loi du sursis a été accordé à M. L... en considération de sa situation militaire, son régiment devant partir le 5 août. Un autre manifestant de 16 ans a été acquitté, comme ayant agi sans discernement. D'autres manifestants sont recherchés et vont être interrogés et poursuivis. "

Une belle fratrie, un cliché d’Edmond Girardin (Doc. delcampe.net)

(15 mars 2019)

PLUS ENCORE :



Paul Edmond Girardin, souvent prénommé par erreur Émile ou même Édouard, est né à Cornaux dans le canton de Neuchâtel en Suisse le 8 août 1878. Il est décédé à Toulouse en 1968.
Une bonne partie de sa carrière de photographe s'est déroulée à Brive, dans son studio du boulevard du Palais. Il a ensuite rejoint Tarbes (Hautes Pyrénées) où son fils Jean Baptiste Paul André s'était également installé comme photographe.
On trouve mention de sa naturalisation française dans le Journal Officiel du 21 avril 1924, à la page 8690.
 
Les photographies qui suivent nous ont été offertes par son arrière-petit-fils, Patrice Girardin et sont issues des archives familiales. Elles ne concernent pas Brive.

Portrait réalisé par son fils, également photographe ===>




En voiture avec son fils qui devait alors avoir 8 ou 10 ans, sa mère
et une personne non identifiée (sœur, domestique ou amie ?).


Son premier mariage à Périgueux avec Marie Louise Madeleine
Benoit,
décédée en 1905.
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Il est ici avec sa mère et sa fille Paule en 1933.
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(Mai 2020)
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