Au mois d'octobre 2014, un lot de trois
photographies anciennes a été mis en vente sur Internet. Au
verso de la première d'entre elles, une mention manuscrite : "Usine des
Bordes à Brive". Le
problème, c'est que ces photographies n'avaient visiblement aucun rapport avec
la seule usine des Bordes connue, l'ancienne usine électrique, moitié thermique, moitié
hydraulique, construite en bordure de Corrèze dont nous gardons encore
des souvenirs précis, et dont les derniers bâtiments d'exploitation ont
été démolis en 2014.
(Col. Maryse Chabanier)
Le patron, melon sur la tête, est en visite d'inspection sur le chantier.
Il est accompagné de deux élégantes, peut-être son épouse et sa mère.
Il est accompagné de deux élégantes, peut-être son épouse et sa mère.
La voiture, superbe, avec chauffeur, dénote la situation plus qu'aisée de son propriétaire.
A part ceux qui travaillent sur le toit, les ouvriers sont alignés, presque au garde-à-vous.
Remarquez le pignon du bâtiment : nous y reviendrons.
Notre expert M. V. a très rapidement identifié ces clichés et les a situés, ce qui a permis à Maryse Chabanier de les acquérir en dépit de la participation de 2 autres enchérisseurs, et par voie de conséquence, à nous, de les présenter ici. La brève annotation du verso mérite quelques commentaires. Il y avait en fait autrefois deux grandes usines aux Bordes, pas très éloignées l'une de l'autre : l'usine électrique, bien connue, et une importante usine de mécanique, située presque en face du stadium. Le plan qui suit permet de situer chacune d'elles :
Le quartier des Bordes (cliquez sur l'image pour l'agrandir).
Extrait d'un plan de Brive de 1940 édité par l’hebdomadaire "La Croix de la Corrèze"
Extrait d'un plan de Brive de 1940 édité par l’hebdomadaire "La Croix de la Corrèze"
et complété par nos soins (Col. M. V.).
La Corrèze avec son canal de dérivation, l'avenue du 11 Novembre et le Stadium permettent de se repérer.
Le positionnement que nous avons fait de "l'autre" usine est approximatif, et surtout il ne reflète pas
les dimensions exactes de la construction, en particulier en ce qui concerne sa profondeur.
les dimensions exactes de la construction, en particulier en ce qui concerne sa profondeur.
Les deux usines dites des Bordes apparaissent par ailleurs sur cette vue aérienne du quartier, une carte postale moderne extraite des collections de M. V.. Toutes deux sont vraiment très proches :
(Col. M. V.)
Voici maintenant les deux autres photographies inédites du lot entré dans les collections de notre complice Maryse :
<=== Nous sommes ici à l'autre extrémité du bâtiment en travaux. Le patron et les deux belles dames ont suivi et posent pour la photo.
(Col. Maryse Chabanier)
La troisième photographie est plus récente. Les travaux sont terminés et nous sommes maintenant à l'intérieur de l'usine. On remarque que l'atelier s'étend largement sur l'arrière.
Vous aimeriez certainement savoir comment M. V. a pu situer notre usine et en apporter la preuve.
De nos jours, il ne reste en effet presque rien des constructions qui se trouvaient face au stadium. L'endroit est devenu une friche industrielle : les anciens bâtiments ont brulé il y a plusieurs décennies, et seule subsiste la partie gauche occupée par la salle des ventes de Maître Gillardeau.
Les
ouvriers sont nombreux, très jeunes dans l'ensemble. Chacun s'active
sur son poste de travail. Des tours semblent être en action. Vers le
fond, des essieux usinés sont sans doute terminés, destinés à équiper
on ne sait quel matériel roulant.
Vous aimeriez certainement savoir comment M. V. a pu situer notre usine et en apporter la preuve.
De nos jours, il ne reste en effet presque rien des constructions qui se trouvaient face au stadium. L'endroit est devenu une friche industrielle : les anciens bâtiments ont brulé il y a plusieurs décennies, et seule subsiste la partie gauche occupée par la salle des ventes de Maître Gillardeau.
Revenons donc vers le pignon sur lequel nous avons
attiré votre attention, et comparons le avec le pignon gauche que le
Maître actuel des lieux épargnés par le feu nous a autorisé à photographier :
A gauche, le pignon de l'usine en 1918 (Col. M. Chabanier)
A droite, le pignon de la salle des ventes (Cl. JPC - oct. 2014)
A droite, le pignon de la salle des ventes (Cl. JPC - oct. 2014)
Malgré
d'importantes modifications (trois fenêtres murées dont seules subsistent les
traces et une porte transformée en fenêtre) le doute n'est pas permis,
surtout si l'on examine la forme de la toiture : nous sommes bien au
même endroit.
Plus personne ne se
souvient aujourd'hui de cette ancienne usine de mécanique, mais bon nombre
de brivistes se rappellent de l'épicerie en gros Caramigeas qui, plus tard, occupa pendant
très longtemps ces locaux. Elle avait là ses entrepôts, mais on y faisait aussi de la
fabrication : crème de marron par exemple, ou bien torréfaction du café.
(Doc. delcampe.net)
Après le départ de Caramigeas, des activités diverses ont été exercées sur le site, par des entreprises variées, jusqu'à l'incendie destructeur.
(Cliché JPC - octobre 2014)
Derrière la salle des ventes, une vue de la partie des bâtiments épargnée par le feu, et réhabilitée.
Derrière la salle des ventes, une vue de la partie des bâtiments épargnée par le feu, et réhabilitée.
Où "l'autre usine des Bordes" se dévoile encore plus
Le hasard fait qu'en juillet 2015 nous avons eu l'opportunité d'acquérir un exemplaire du livre écrit et auto-édité en 1997 par Jean Escande (1909-2014). Un livre rarissime destiné aux seuls membres de sa famille, ses amis et quelques rares relations, qui n'a jamais été mis en vente dans le commerce. Sous le titre "Un long chemin patiemment tracé", l'auteur nous fait revivre la saga des célèbres familles brivistes Malaval, Escande et Brossard. La vie dans Brive, à ces époques là, y est çà et là retracée par bribes. Un ouvrage passionnant pour les amoureux de notre ville.
Et au fil des pages, Jean Escande évoque celle que nous avons appelée "L'autre usine des Bordes".
Nous ne pouvons résister au plaisir à vous en livrer quelques extraits, en complément de notre propre récit.
Nous sommes à la fin de la guerre 1914-1918.
" Le problème qui se posa à Joseph Escande à son retour à la vie civile fut de reconquérir l'ancienne clientèle de la fonderie et si possible de trouver de nouveaux débouchés.
C'est alors que lui fut formulée une proposition qui lui parut de nature à apporter une solution à ce problème. Elle émanait d'un industriel : Emile Tissot, originaire du département de l'Oise, qui s'était, au début de la guerre, replié à Brive. Il avait acquis de vastes terrains dans le quartier des Bordes; il y avait fait construire une usine, et l'avait équipée d'un important outillage. Cette usine, spécialisée dans le travail des métaux et la mécanique, travaillait uniquement pour la défense nationale (sans que je puisse préciser la nature exacte de ses fabrications).
Lorsque la guerre se termina, Tissot dut se mettre à la recherche d'une activité nouvelle. L'idée lui vint d'étudier la possibilité d'entreprendre la fabrication de fourneaux de cuisine.
A cette époque, les cuisinières dont l'usage se répandait dans les villes et même - très progressivement - à la campagne, étaient toutes à peu près semblables, quel qu'en soit le constructeur. Il s'agissait d'appareils en tôle comportant un foyer en fonte et un dessus également en fonte. Tissot ne pouvait réaliser son projet qu'avec le concours d'un fondeur.
Il prit contact avec Joseph Escande. Ainsi se constitua la Société Tissot Escande et Brossard (T.E.B.).
[...] La fabrication des cuisinières TEB démarra au début de 1920. La fonderie fournissait le dessus de l'appareil avec ses ronds concentriques ainsi que toutes les pièces constituant le foyer qui était prévu pour fonctionner au bois, mais qui pouvait être alimenté au charbon par l'adjonction d'une pièce dénommée parabole.
A l'usine des Bordes était confectionnée toute la tôlerie : façade, côtés, arrière de la cuisinière, ainsi que la bouillotte en cuivre et la barre de devant, elle aussi en cuivre. L'assemblage de ces divers éléments était réalisé à l'usine Tissot. Après avoir été peint au vernis noir, l'appareil était prêt à la livraison.
La cuisinière ci-contre n'est pas une fabrication TEB, mais celle d'un concurrent. Les cuisinières fabriquées par l'usine des Bordes avaient un aspect à peu près semblable.
Cette image, ajoutée par nos soins au
texte de Jean Escande, provient du site Internet "Le Bon Coin".
Les relations qu'entretenait la société Escande et Brossard avec ses confrères permirent une mise en place des cuisinières TEB dans de nombreux magasins.
Mais il fallut bientôt se rendre à l'évidence : les commandes de renouvellement devinrent de plus en plus rares [...].
Lorsque après la fin de la guerre redémarra l'activité industrielle, de puissantes entreprises telles que Godin, Rosières, de Diétrich, renouvelèrent leurs moyens de production et sortirent de nouveaux modèles. La mode pour les fourneaux de cuisine consacra le "tout fonte" ou plus exactement le "tout fonte émaillée". L'émail vitrifié qui recouvrait la façade et les cotés de ces cuisinières était de couleurs variées, dont la gamme allait du blanc au marron foncé en passant par le chamois, le gris-bleu, le vert-jade et bien d'autres teintes.
TEB n'avait ni les moyens de production, ni les possibilités financières qui lui auraient permis d'abandonner la fabrication de ses cuisinières en tôle pour se reconvertir dans celle de modèles comparables à ceux de ses puissants concurrents.
On dut procéder, en 1923, à la liquidation de la société. La vente des terrains, des locaux, du matériel n'ayant pas permis d'apurer toutes les dettes, on dut avoir recours à la trésorerie de la société Escande et Brossard pour régler le solde restant dû.
[...] Après la dissolution, en 1925, de la société "Tissot Escande et Brossard", la fonderie fut cédée à deux de ses employès : Jouvet et Lapeyre, qui la cédèrent à leur tour à Coudert et Puydebois. La famille Puydebois l'exploite encore, dans de nouveaux locaux, en 1996".
Lorsque après la fin de la guerre redémarra l'activité industrielle, de puissantes entreprises telles que Godin, Rosières, de Diétrich, renouvelèrent leurs moyens de production et sortirent de nouveaux modèles. La mode pour les fourneaux de cuisine consacra le "tout fonte" ou plus exactement le "tout fonte émaillée". L'émail vitrifié qui recouvrait la façade et les cotés de ces cuisinières était de couleurs variées, dont la gamme allait du blanc au marron foncé en passant par le chamois, le gris-bleu, le vert-jade et bien d'autres teintes.
TEB n'avait ni les moyens de production, ni les possibilités financières qui lui auraient permis d'abandonner la fabrication de ses cuisinières en tôle pour se reconvertir dans celle de modèles comparables à ceux de ses puissants concurrents.
On dut procéder, en 1923, à la liquidation de la société. La vente des terrains, des locaux, du matériel n'ayant pas permis d'apurer toutes les dettes, on dut avoir recours à la trésorerie de la société Escande et Brossard pour régler le solde restant dû.
[...] Après la dissolution, en 1925, de la société "Tissot Escande et Brossard", la fonderie fut cédée à deux de ses employès : Jouvet et Lapeyre, qui la cédèrent à leur tour à Coudert et Puydebois. La famille Puydebois l'exploite encore, dans de nouveaux locaux, en 1996".
Ainsi donc, tout correspond parfaitement pour que le patron en chapeau melon qui surveillait les travaux de son usine, sur deux des photographies de Maryse, soit Emile Tissot.